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subvenir aux nécessités les plus diverses, équipant l’armée, lui fournissant des attelages, et, à la fin, des munitions même. On touche, par cette activité et par cette énergie, ce qu’il y a dans le peuple russe de plus décidé à vivre et à vaincre. On trouve là une haute expression du sentiment national. Pourtant, nos amis de Russie permettront-ils qu’on présente une observation et un regret ? Entre les organisations diverses qui se partagent les besognes de la guerre, il y a une émulation qui va peut-être trop loin, qui, poussée jusqu’à la rivalité, nuit à la collaboration, disperse au contraire les efforts. Certaines manifestations nous ont fait penser parfois à nos divisions gauloises, qui, au cours de l’histoire, ont été funestes à la patrie, ont fait la joie secrète de l’ennemi du dehors. M. Stürmer a été conduit, en ces derniers temps, à prendre, à l’égard de l’Union des Zemstvos et des Villes, des mesures restrictives, à interdire les congrès des divers comités de guerre. L’observateur impartial doit reconnaître qu’il se faisait à ces congrès un peu trop de politique. De même la Douma, dont la bonne volonté est certaine, qui a bien mérité de la défense nationale, n’est pas sans avoir commis quelques imprudences. Malgré l’appel patriotique d’une partie des chefs socialistes, il s’est produit, dans l’industrie de guerre, quelques grèves regrettables. N’ont-elles pas, pour une part, été la conséquence de discours que l’ouvrier russe, encore bien jeune, bien sujet aux entraînemens, est toujours disposé à prendre au pied de la lettre ? Les incidens de l’usine Poutilof ont coûté au général Polivanof le portefeuille de la Guerre. Ce n’était peut-être pas sans raison. Et le général avait-il assez calculé qu’une parole tombée de la tribune de la Douma peut avoir pour effet de ralentir la production de l’artillerie ?

Mais ces accidens sont peu de chose si on les compare à l’ensemble des résultats atteints, à la marche générale du pays vers une exploitation méthodique et une application rationnelle aux besoins de la guerre de ses immenses ressources. Les vastes proportions de la Russie, sa diversité, ses distances, la dissémination de ses centres de travail, ont alourdi, ralenti la mise en train et ne permettent pas que son effort se manifeste aux yeux aussi nettement que dans les grands pays de concentration industrielle comme la France et l’Angleterre. Qui pourrait se flatter de rassembler d’un coup d’œil le labeur de l’énorme Empire ? La guerre serait peut-être finie avant