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À ce sujet, on a beaucoup parlé de trahison en Russie : il ne faudrait pas en voir plus qu’il n’y en a eu. Il est à remarquer, d’abord, que toutes celles que l’on a connues l’ont été par les châtimens exemplaires qui les ont punies. Ce n’est pas un État faible que celui où l’on sait si énergiquement réprimer et où la sanction est si près du crime. Lorsque la méfiance et le soupçon se propagent, tourmentent et troublent l’esprit public, la peine capitale est le critérium qui fait distinguer les accusations vraies des fausses. On avait répandu le bruit, cet hiver, à Pétrograd, qu’une personne fort connue, appartenant à la société, avait été arrêtée parce que son salon était un centre d’espionnage. Comme les familiers de la maison, les curieux et les journalistes avides d’informations se succédaient au téléphone : « Répondez que je suis pendue, » commanda cette femme d’esprit à ses domestiques. C’est par des pendaisons effectives et impitoyables que la Russie a appris qu’en effet il y avait eu quelques traîtres : la sévérité et la promptitude de l’exemple n’auront pas encouragé les imitateurs, Quant au général Soukhomlinof, dont on connaît la triste aventure, je n’ai pas à prendre sa défense, ni même à plaider pour lui les circonstances atténuantes. Il y a, contre cet ancien ministre de la Guerre, des chefs d’accusation dont plusieurs sont graves. Et si des faiblesses domestiques, des entraînemens du cœur les expliquent, ils ne les excusent pas. Quand on lui reproche de n’avoir pas prévu le nombre d’obus qui devait être nécessaire, d’avoir même refusé certaines offres de concours pour la fourniture des munitions, il est permis de penser qu’il a pu être commis ailleurs, — et l’Allemagne n’est pas exclue, — des erreurs équivalentes dont les auteurs n’ont jamais passé pour des traîtres. Sans compter que le général Soukhomlinof était ministre de la Guerre avant et pendant les heureuses offensives de la première partie de la campagne, en sorte que, pour tout ce qui touche à l’organisation générale, c’est à lui, en bonne justice, que le mérite de ces succès devrait revenir. Mais le fait important et qui demeure, celui sur lequel l’attention doit se fixer, c’est qu’un général, la veille encore ministre de la Guerre, ait été arrêté et déféré à la justice, dès que des accusations précises ont pesé sur lui. Au moment où nous quittions Pétrograd, le général Soukhomlinof était détenu à la forteresse Saint-Pierre et Saint-Paul, dans le même cachot de la même citadelle qui a