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aux portes de la France, tout évoque la pensée de la guerre. La Suisse elle-même a mobilisé, et nous y avions retrouvé, quelques mois plus tôt, l’appareil militaire, des armes, des uniformes, la voie ferrée gardée, les frontières défendues et soumises à une stricte surveillance. Mais Londres plein de soldats, Hyde Park devenu Champ-de-Mars, la libre Angleterre au régime des passeports et de la fouille, n’était-ce pas, quand on se rappelait le passé, quelque chose de plus surprenant encore ? C’est pourquoi l’on se trouvait reporté à des temps lointains. on serait tenté de dire à un autre âge, en pénétrant dans cette laborieuse Norvège et dans son atmosphère de tranquillité et de détente. Presque seul, le royaume des fjords peut se dire à l’abri des tempêtes qui assaillent le restant du monde européen. Il n’en reçoit que les dernières ondes, celles, surtout, qui viennent émouvoir ses sympathies. A ses portes, déjà, la guerre donne un ébranlement plus fort.

Stockholm est une ville aristocratique et de haute allure ; c’est la capitale d’un pays qui unit, à un grand passé politique et militaire, une vie moderne, intense et développée : elle a des palais comme Versailles et des banques comme Berlin. La Norvège est une simple démocratie de pêcheurs et de négocians, la patrie des méditatifs « consuls » d’Ibsen. Mais Stockholm aime les arts et recherche le luxe. D’Allemagne même, en ce moment, y vient, qui le peut, jouir d’une existence confortable et manger à son appétit. Gœthe, qui connaissait les siens, leur a fait dire par la bouche du bourgeois de Faust : « Rien de meilleur, à mon sens, qu’une causerie de guerre quand les peuples là-bas s’assomment entre eux. On est à la fenêtre, on boit son petit verre, on voit les barques pavoisées filer au cours de l’eau… » Et, sans doute, cette disposition essentielle de la bourgeoisie allemande n’a pas changé. On est bien, dans la « Venise du Nord, » pour s’y donner, loin du régime Spartiate des cartes de pain et des jours sans viande, le plaisir de s’asseoir à table en sécurité. Mais, depuis Gœthe, l’Allemand a renforcé quelques-uns de ses caractères. Il a relevé la devise : Du fer, intus et extra. Le dressage national est parfait, l’esprit politique et militaire a profondément pénétré les classes moyennes elles-mêmes. Les familles allemandes qui viennent à Stockholm faire de la suralimentation font en même temps de la propagande. Cette propagande est dirigée