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des faits, il a mis cette conviction en pratique toujours et partout. Mais, d’autre part, il se rendait parfaitement compte de l’insuffisance du fait qui n’est pas éclairé et comme illuminé par l’idée. Fidèle à l’esprit de la science française, il comprenait, aussi clairement que personne, que la fin de toute recherche historique est l’éternelle humanité, dont il s’agit de dégager l’identité permanente sous la série des aspects divers qui se succèdent dans le temps. Toutes ses études sur l’Égypte antique aboutissent en somme à nous montrer, derrière les témoignages écrits ou les représentations figurées, des hommes, qui, tout en ayant des traits à eux, ressemblaient à leurs descendans.

Sa grande Histoire des peuples de l’Orient classique, publiée, de 1895 à 1898, en trois magnifiques volumes, enrichis d’une admirable illustration, est le remaniement et le développement d’un ouvrage de même titre, mais beaucoup moins étendu qu’il avait fait paraître vingt-cinq ans auparavant. La variété de son savoir lui a permis d’y embrasser, dans un large exposé, l’évolution de tous les peuples de l’Asie antérieure et de la vallée du Nil, Égypte, Syrie, Chaldée, Judée, Assyrie, Médie, Perse, Mésopotamie, Arménie, Anatolie, jusqu’à l’époque des conquêtes d’Alexandre. En dehors même de son domaine propre, il a pu s’y montrer parfaitement informé de toutes les découvertes, et de tous les travaux qu’elles avaient suscités. Il s’était donné, par ses études personnelles, le moyen de les contrôler et le droit de les juger. Son ouvrage, lorsqu’il parut, représentait exactement l’état de la science à la fin du XIXe siècle. Mais ce n’était pas là son seul mérite. Ce qui en fait une des grandes œuvres historiques de notre temps, c’est qu’à cette solide documentation se superposent des qualités d’un autre ordre. Le premier, il a su faire, non plus une série d’histoires partielles et juxtaposées des vieilles nations orientales, mais une histoire vraiment une et synthétique de l’Orient tout entier. Le premier, il a saisi et mis pleinement en lumière les relations des peuples entre eux, leurs points de contact, le conflit de leurs vues et de leurs intérêts. Personne, d’ailleurs, ne les avait non plus caractérisés si nettement, chacun dans leur individualité propre. Voici l’Égypte avec ses dynasties, sa hiérarchie officielle, sa féodalité, ses sanctuaires, ses nécropoles, ses religions étranges et diverses, ses mœurs et ses