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lequel un prêtre de Munich explique, dans une revue bavaroise, que par égard pour le protestantisme il faut se garder d’une dévotion exagérée pour la Vierge de Lourdes[1]. Vise-t-il, d’aventure, les adhésions données naguère par sept archevêques et évêques d’Allemagne à la supplique par laquelle l’évêque de Tarbes sollicitait du Saint-Siège l’extension à l’Eglise universelle de l’office commémoratif des apparitions de Lourdes ? Quelles que soient les démarches, — actes épiscopaux ou pèlerinages populaires, — auxquelles s’appliquent les patriotiques censures de notre ecclésiastique bavarois, c’est vers les madones de la patrie allemande qu’il veut détourner les hommages de ses ouailles. L’Allemagne catholique, depuis le début du XXe siècle, se sentait attirée vers les Pyrénées, pour y prier la Vierge : une association s’était fondée, pour organiser ces pieux exodes ; ils avaient lieu deux fois l’an ; le dernier qui précéda la guerre, en mai 1914, amenait plus de trois mille pèlerins. Et ce même mois de mai 1914 voyait s’acheminer vers Lourdes le neuvième pèlerinage bavarois, le sixième pèlerinage du diocèse de Trêves, le troisième pèlerinage wurtembergeois, le premier pèlerinage badois. Un usage se propageait à travers le Wurtemberg : on y faisait choix de certains sites pittoresques pour y aménager des reproductions de la grotte pyrénéenne, Halte-là ! signifie la catholique Revue générale de Munich : elle craint que cette émigration des prières, que cet accueil fait à une dévotion française, ne choquent les protestans de l’Empire, avec lesquels elle espère bien qu’après la guerre l’harmonie sera meilleure. « Une lutte inouïe se livre, grondent les Feuilles mensuelles de l’Allemagne du Sud : l’existence entière du germanisme est en jeu ; il s’agit de savoir si nous ne prierons pas plus volontiers notre madone allemande d’Altœtting : certainement, elle ne nous écoutera pas moins que la madone de Lourdes, si nous voulons déjà faire un retour vers notre Seigneur Dieu allemand, qui si visiblement a écouté et béni la prière de notre Empereur protestant et des Allemands de toutes confessions[2]. » Pesamment et naïvement, le baron catholique qui signe ces lignes, fait à cette vieille madone, authentiquement indigène, et au « Seigneur Dieu allemand, » l’injure de vouloir rehausser leur piédestal, du même geste fier, et jalousement « germanique, »

  1. Allgemeine Rundschau, 11 mars 1916.
  2. Süddeutsche Monatshefle, décembre 1915, p. 452.