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une façon de dompter ces terres rebelles, que de s’y comporter en pouvoir évangélique. « Ce qu’on fait dans les Marches orientales pour l’Eglise évangélique, professait l’aumônier Hermens, cela se fait aussi pour l’existence allemande, pour l’Etat allemand, pour l’Empire allemand[1]. » Un autre jour, ce docteur en conquêtes écrivait : « Le nouvel Empire allemand a des racines essentiellement protestantes[2]. » On inaugurait, en 1895, un monument à Luther sur la place publique d’Eîsenach, et l’orateur officiel proclamait à son tour : « Ce qui ne put pas réussir à l’Espagnol, — à l’Espagnol aveugle à la vérité, — la grâce de Dieu l’a accordé au Hohenzollern avec ses paladins allemands, — un Empire protestant de nation allemande. Il faudrait que le peuple allemand s’oubliât lui-même, pour oublier son Luther, cet homme allemand par excellence (dieses deutschesten Mannes)[3]. »

Ainsi s’épanouissait la propagande patriotique de la Ligue, que l’on déclarait « fondée pour la protection des intérêts évangéliques-allemands, intérêts aussi allemands qu’évangéliques, aussi évangéliques qu’allemands. » Entre protestantisme et germanisme, la Ligue affirmait une indissoluble solidarité, et cette affirmation, à la fin du XIXe siècle, devint facteur d’histoire. Prédicans prussiens et saxons descendirent en Autriche pour y annoncer, au nom du germanisme, l’Evangile de Luther. Il y avait là, à portée de leurs prêches, huit millions d’Allemands ; on rêvait qu’à la longue on pourrait les amener à la Réforme, « de peur qu’ils ne fussent perdus pour le germanisme. » Et l’Eglise romaine, en deux ans, se vit abandonnée par vingt-deux mille fidèles, Allemands de Bohème, Allemands de Styrie : soucieux d’agir en bons Germains, ils se firent protestans. Ils avaient appris du pasteur Meyer, surintendant à Zwickau, président du Comité pour l’Église évangélique en Autriche, qu’Allemand et Romain sont des termes irréconciliables[4]. Et, pour mieux les en convaincre, une voix d’outre-tombe avait retenti, celle d’Ernest-Maurice Arndt, ce Tyrtée de la Prusse, appelant aux armes pour « le bon combat contre l’Antéchrist de Rome, contre le prince de ce monde, contre le

  1. Hermens, Die gemeinsame Gefahr der evang. Kirche und der deutschen Nationalität in der Diaspora der deutschen Grenzmarken, p.66 (Leipzig, 1896).
  2. Hermens, Das deutsche Reich und der evang. Bund, p. 7 (Dresde, 1896).
  3. Kieser, Festrede zur Enthüllung des Luther-Denkmats, p.5 (Eisenach, 1895).
  4. Fr. Meyer, Die evang, Bewegung in Oesterreich, p. 18 (Leipzig, 1899). Voyez notre article dans la Revue du 15 mars 1902 : L’Allemagne en Autriche.