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La génération catholique dont il faisait partie avait un instant songé, en 1848, à je ne sais quelle résurrection romantique du. vieux Saint-Empire ; et l’on avait vu surgir, en face de ce beau songe, l’idée d’ « une Allemagne unitaire et puissante, d’une Allemagne en rupture avec Rome, d’un grand Empire gouverné par un Empereur évangélique. » C’est Lassalle en personne, le socialiste Lassalle, qui, dans son drame : Franz von Sickingen, avait ainsi, dès 1858, dessiné d’avance l’édifice qu’allait construire Bismarck[1]. Il fut avéré, tout de suite après Sedan, que le rêve évangélique de l’israélite Lassalle avait prévalu sur les évocations historiques du passé catholique : un grand Empire s’était fondé, un Empereur évangélique le gouvernait, et les liens avec Rome se rompaient. Un membre du Centre, l’abbé Majunke, publiait un opuscule : l’Empire évangélique, pour commenter cette vicissitude d’histoire. Et Bismarck la résumait, — Bismarck, architecte d’Empire et faiseur d’Empereur, — dans un discours qu’il tenait au Landtag en juin 1872 : « La Prusse avec sa dynastie évangélique, déclarait-il, a pris un plus puissant développement politique. Dans la guerre contre l’Autriche, la puissance qui, en Allemagne, formait proprement le boulevard de l’influence romaine, succomba, et l’avenir d’un Empire évangélique apparut nettement sur l’horizon. » L’œuvre était dès lors définie, — définie par son auteur. Vingt ans plus tard, exhibant sur une place d’Iéna ses amertumes de fonctionnaire congédié, il déclarera qu’il était « engagé par serment envers l’autorité séculière d’un Empire évangélique[2]. »

Au nom de cet Empire évangélique, — avant même que Bismarck ne l’eût solennellement baptisé, — la lutte contre Rome fut entamée. Quoi qu’en dise, aujourd’hui, par l’effet d’une étrange amnésie, M. le professeur Schroers, de la Faculté de théologie catholique de Bonn[3], cette lutte fut d’abord une lutte d’Empire. Bismarck, malignement, excita la Bavière contre Rome ; et cette antique puissance catholique, achevant de s’humilier, appela contre les prêtres le bras séculier de l’Empire évangélique. Une loi contre les délits de chaire témoigna que,

  1. Bourdeau, le Socialisme allemand et le nihilisme russe, p. 250 (Paris, 1892).
  2. Bismarck, Politische Reden, éd. Horst Kohl, V, pp. 289-309, et XIII, p. 144.
  3. Deutsche Kultur, Katholizismus und Wellkrieg (publication collective éditée par Georg Pfeilschifter), pp. 55-56 (Fribourg, 1915).