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des hommes de bourse, des hommes d’argent de toutes les espèces, et aussi des hommes à principes, philosophes et historiens, qui n’admettent pas qu’on leur change leur Prusse, et pour qui leur Prusse est changée si la guerre ne se clôt pas par un gros bénéfice, ne donne pas un gros dividende d’influence, d’admiration et de puissance. M. de Bethmann Hollweg est devenu la cible, mal défendue par la censure, de leurs plaisanteries et presque de leurs outrages. Ni piqûres ni coups plus rudes ne lui sont épargnés. Tant qu’il n’a eu affaire qu’à M. Kapp et à Junius Alter, il a pu refuser les cartels et mépriser les insolences ; négliger même les attaques du professeur Brandenburg, et de MM. de Reventlow, Heydebrandtou Westarp, personnages plus considérables. Mais un protagoniste entre ou rentre en scène, qui n’est rien de moins que M. le prince de Bülow.

Entre le chancelier et son prédécesseur, il y a, de longue date, une vive antipathie. On ne sait ce que M. de Bethmann-Hollweg pense de M. de Bülow, mais on sait ce que M. de Bülow dit, laisse dire ou fait dire de M. de Bethmann-Hollweg, et ce sont des propos tout crus, qui étonnaient naguère les cercles diplomatiques. Résumons-les en indiquant, avec une extrême politesse, que M. de Bülow ne croit pas du tout que M. de Bethmann-Hollweg soit, ainsi que des courtisans de sa fortune l’en louaient au mois d’août 1914, le plus intelligent des Allemands et même des hommes qui vivent aujourd’hui. M. de Bülow a au moins cette raison de ne pas le croire, qu’il est persuadé que le plus intelligent des Allemands, c’est lui-même, et qu’au dehors, partout où il a passé, à Rome notamment, où il avait fixé sa résidence, on lui accordait volontiers qu’il en était le moins allemand. Maintenant on répète à l’envi que le chancelier est aussi incapable de conclure la paix qu’il l’a été de conduire la guerre, et que seul l’ancien chancelier aurait eu et aura les talens nécessaires. Le duel s’engage sur des positions retournées, M. de Bethmann-Hollweg ayant derrière lui la plus grande partie du Centre, avec MM. Bachem et Erzberger, — autre adversaire de M. de Bülow, dont il a plus d’une fois foulé pesamment les chemins ; — une partie des nationaux-libéraux ; une fraction des progressistes-radicaux; dans le fond, la majorité socialiste ; le prince de Bülow, soutenu par les conservateurs et les nationalistes-impérialistes. Nous apporterons, à en déterminer les conditions et à en suivre les péripéties, une attention d’autant plus éveillée qu’il s’agit en réalité bien moins d’une question d’ordre intérieur que d’une question d’ordre international. Si M. de Bülow et M. de Bethmann-Hollweg se déchirent, et si dans