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Edouard avant de s’être procuré Alfieri ; elle n’a point renoncé à la couronne d’Angleterre avant de s’être munie d’une couronne poétique. Et, plus tard, la mort d’Alfieri, son terrible malheur, ne la prend pas au dépourvu : elle a, de longtemps, auprès d’elle le remplaçant du poète, M. Fabre, de Montpellier, peintre et élève de David. Ce Fabre n’est pas ennuyeux. Paul-Louis Courier, dans la Conversation chez la comtesse d’Albany, nous l’a montré vif et pimpant, qui, devant la beauté du Pausilippe et de Capri, vous débite ses paradoxes gentiment. Avant la mort du poète, il demeurait avec amabilité à la Casa Alfieri, faisant quelques portraits et vivant de son mieux. La comtesse lui rendait ce témoignage : « Fabre peint le Poète mieux que personne ! » Et il donnait à la comtesse, quelquefois, des leçons de peinture. Car elle a voulu peindre : et elle a dû peindre avec méthode. La liaison de Mme d’Albany avec ce Fabre, on l’a jugée comme on a pu. Chateaubriand : « Je suis fâché que ce cœur, fortifié et soutenu par Alfieri, ait eu besoin d’un autre appui ! » Sainte-Beuve n’a-t-il pas soupçonné là, peut-être, un avis pour Juliette ?… On s’est demandé si Mme d’Albany, après la mort d’Alfieri, n’avait point épousé M. Fabre. On l’a même imprimé dans la Biographie universelle ; mais, sur l’exemplaire de la Biographie que possédait M. Fabre, Saint-René Taillandier lut ces mots, de la main de M. Fabre : « C’est faux ! » Mme d’Albany aimait beaucoup trop M. Fabre pour en faire un mari. Elle vécut paisiblement, auprès de ce peintre qui avait de l’obligeance et de la bonhomie. Tous deux veillèrent à l’édification du monument d’Alfieri, dans l’église de Santa Croce. Elle vieillit avec ce souvenir et ce compagnon. A la fin de sa vie, elle avait en haine tout l’univers : et elle n’était pas du tout malheureuse. « Je suis à la fenêtre, disait-elle, et je vois passer les événemens… » Elle réussissait à organiser le bon ménage de son pessimisme et de sa curiosité.

Elle a eu le génie de l’organisation. Elle a eu ce médiocre génie, au point de n’être ni malheureuse ni attendrissante. Il n’y a pas beaucoup à rêver autour de sa mémoire. Avec ses cheveux blonds, ses yeux noirs ou bleu foncé, belle, intelligente, et avec sa destinée extraordinaire, elle a peu d’attrait. Et, après tout, elle est boche, née princesse de Stolberg-Gedern.


ANDRE BEAUNIER.