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s’en va, — vous ne pouvez le condamner a un rôle où il s’épuise sans résultat. Il ne suffit pas de le retenir à l’Hôtel de Ville pour détruire son impopularité. Or conserver, malgré l’opinion, un magistrat qui n’a ni autorité morale, ni volonté de résister, c’est vouloir amener un conflit. Chaque minute peut en amener un et vous continuez à les provoquer ! Nous n’avons pas de parquet, nous n’avons pas de justice ! Que fait M. Dufaure à Bordeaux ? Imite-t-il le procédé que vous recommandez à Picard ? Cherche-t-il près des députés les nominations et les révocations ? Si nous entrons dans cette voie, nous avilissons la justice. Pendant ce temps, les coquins tiennent ici le haut du pavé. Quand on les arrête, les agens du garde des Sceaux les mettent en liberté. On pille les armes et les munitions ; on assomme les agens de la paix et les prétendus Prussiens, et tout cela finira par une catastrophe. Quant à moi, je ne nomme pas les ambassadeurs qui devraient être à leurs postes. Il y aura huit jours demain que le traité est signé. Nous avons un intérêt considérable à presser les négociations : je n’ai pu choisir les négociateurs, ni le ministre de Belgique. De plus, nous n’avons pas dit un mot de notre politique, de nos intentions, de nos desseins. Je crains, mon cher ami, que tout cela ne nous mène à mal, et pour moi, je vous le répète, si vous êtes d’une opinion contraire, si vous croyez qu’il est bon de laisser à Paris un fantôme de gouvernement exposé à chaque minute à tout faire sombrer, je vous supplie de me chercher de suite un successeur. Je ne changerai jamais de sentiment pour vous. Mon cœur est pénétré d’admiration pour votre patriotisme, votre courage ; mais voyant clairement les difficultés à combattre et les devoirs qu’elles imposent, je n’ai pas le courage de mettre mon amitié pour vous au-dessus de ma conscience. Je me résume donc : je demande que le Cabinet tout entier vienne de suite à Paris et la Chambre à Versailles ou à Saint-Germain. Que, si cette dernière opération nécessite une semaine, le Cabinet se réunisse ici lundi et y reste au moins trois jours pour arrêter, et pour le personnel et pour la direction, ce qui est le plus pressé. En dehors de ces conditions, je ne vois que danger, impossibilité, manquement au devoir. Les intérêts que froisse, suivant moi, ce manquement, sont si importans, que je me reproche de les avoir si mal servis, et je ne voudrais pas continuer à les compromettre.