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quelle aisance, dès lors et jusqu’à la fin du siècle, la sculpture française se prêtera à toutes les données du programme, à toutes les sollicitations des thèmes religieux ! Pour raconter, depuis la création jusqu’au Jugement dernier, l’histoire du monde, groupé, discipliné sous le regard de Celui qui l’ordonne et qui le jugera, — pour donner une apparence vraisemblable à tous les hérauts de l’épopée chrétienne depuis les prophètes de l’Ancien Testament jusqu’aux apôtres et aux saints confesseurs de la foi ; — pour évoquer, au seuil des cathédrales, les grands évêques qui introduisirent le christianisme dans le diocèse et prêchèrent l’Evangile à travers les provinces (un saint Martin, un saint Firmin, un saint Rémi, un saint Nicaise) ; — pour mettre sous les yeux des fidèles en vivantes figures le Sauveur lui-même, sa nativité, son enfance, sa prédication, puis son apparition comme Roi de Majesté redoutable au grand jour du Jugement et, à côté de lui, la Vierge Mère que l’imagination populaire fit de plus en plus fraternelle, « humaine, » et dont les Miracles Notre-Dame (ces recueils consacrés à sa gloire et dont les manuscrits abondent) avaient multiplié les interventions et les intercessions en faveur de l’humanité pécheresse et souffrante, nos ateliers imaginèrent, créèrent tout un peuple innombrable de statues… Nous commençons à peine à en démêler la diversité, à en classer les groupes. Incorporée à l’architecture, participant de son rythme, mêlée à son organisme, conditionnée par lui et trouvant dans cette subordination bienfaisante bien plus de grandeur et de beauté monumentale qu’elle n’y subit de contrainte, cette statuaire exprime par ses mille formes la pensée, l’âme même qui habitent le temple. C’est là sa vraie signification, sa destination certaine. — Les quelques « grotesques » qu’on a pu relever çà et là, et dont on a beaucoup exagéré le nombre et l’importance, témoignent seulement de la verve décorative et populaire des bons compagnons qui les taillèrent.

Ce n’étaient ni des « docteurs, » ni des « esthètes » et le moderne dilettantisme romantique les a défigurés étrangement dans sa poésie conventionnelle et de clinquant. Voyez-les au travail sur le vitrail qu’ils donnèrent à Notre-Dame de Chartres et où ils sont représentés au vif. Bons ouvriers à leur besogne ; l’un vient d’achever une statue de roi et juge de l’effet ; l’autre, satisfait sans doute de son œuvre, se détourne pour