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consecratum monasterium, il avait jour à jour réuni les ressources nécessaires, préparé les voies et moyens. De ses voyages à Rome et en Italie, il avait conservé le secret désir de faire transporter, pour le futur sanctuaire qu’il méditait, les colonnes des Thermes de Dioclétien ! — mais il savait aussi que la terre de France est riche en matériaux (la simple pierre de liais n’a-t-elle pas été jusqu’au XVIe siècle pour nos maçons et nos imagiers la servante la plus docile, la collaboratrice la plus franche et la plus noble ? ) et la découverte, la mise en exploitation des carrières de Pontoise l’avaient rempli de joie.

Au cours de tous ses voyages, à Saint-Benoit-sur-Loire, à la Charité, à Cluny, en Saintonge, en Aquitaine (quand il avait dû accompagner l’héritier présomptif de la couronne de France, à la rencontre d’Éléonore d’Aquitaine, sur l’ordre de son bien-aimé roi et ancien condisciple Louis VI), il avait observé, noté tout ce qui pouvait servir son grand projet. S’il avait embauché de tous côtés des peintres verriers, des fondeurs, des mosaïstes, des orfèvres, des sculpteurs, c’est dans le pays le plus proche, dans la région où naissait la nouvelle architecture, où la collégiale de Poissy et l’église Saint-Maclou de Pontoise commençaient de s’élever, qu’il avait pris ses maçons. Dès 1140, on avait pu ouvrir les nouvelles portes de la façade, — plus larges parce qu’il avait été profondément ému par les nombreux accidens survenus aux jours des grands pèlerinages autour des reliques des saints martyrs — et l’on avait travaillé activement à la construction du déambulatoire et du chœur. Il a noté lui-même que, le 19 janvier 1443, tandis que, avant le lever du jour, l’évêque de Chartres célébrait à Saint-Denis la messe conventuelle, une épouvantable tempête s’était déchaînée sur le pays. On en était au point où les piliers et les arcs doubleaux et ogifs déjà construits n’attendaient plus que la couverture des voûtes ; leurs nervures de pierre découpaient sur le ciel le réseau de leurs compartimens rigides, — c’est-à-dire tout l’appareil de la nouvelle architecture, — et Suger passa quelques heures d’angoisse à se demander s’ils résisteraient à la fureur des vents ennemis… Tantus oppositorum ventorum impetus prælatos arcus… perfringebat… Tout tremblait (miserabiliter tremuli), mais tout résista, et la démonstration fut ainsi providentiellement faite que l’appareil nouveau était aussi solide que souple et pratique. On acheva de poser sur les arcs la couverture des