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de produits chimiques et pharmaceutiques, les Allemands importaient eux-mêmes une large partie des matières premières qu’ils transformaient. Ils se virent, faute de réserves suffisantes de nitrates, menacés de manquer d’azote ; or l’azote, beaucoup plus que l’argent, est de nos jours le nerf de la guerre. Ce qu’ils recevaient de Norvège était loin de suffire à nos ennemis. Leur gouvernement fît construire, à coups de subventions, pour la fixation de l’azote de l’air, des usines qui se trouvèrent sous toit à la Noël 1914 et qui alimentent présentement leur fabrication intensive d’explosifs, — à elle seule la Badische Anilin und Soda Fabrik en fournit 8 000 tonnes par mois ; — M. Helfferich, dans des explications « confidentielles » à la commission du budget du Landtag de Prusse, affirme que « l’Allemagne serait désormais à cet égard indépendante de l’étranger pour son armée et pour ses engrais. »

La vérité est que la nouvelle industrie de l’azote en Allemagne est, au point de vue du coût de production, tout à fait artificielle, qu’elle marche avec les énormes commandes faites par l’Etat à des prix garantissant un large bénéfice ; mais qu’elle serait tout à fait incapable de se maintenir après la paix, à moins d’être constituée, comme on en a fait la proposition au Reichstag, en monopole commercial. Ce monopole comporterait naturellement une augmentation du prix des produits azotés en Allemagne, de sorte que les fabriques qui se servent de l’azote pour leurs exportations seraient en infériorité sur le marché mondial.

Quel que soit le parti que prennent les Allemands pour s’affranchir de l’étranger sans se ruiner eux-mêmes, l’étranger est en train de s’affranchir du monopole de fait que la Germanie s’était attribué dans le domaine chimique. C’était de chez elle, on le sait, que sortaient les neuf dixièmes des couleurs tirées de la houille. Ses vingt-deux usines, avec leur outillage perfectionné, leur personnel de chimistes et d’ouvriers spéciaux, étaient soumises pour la vente à une direction unique, qui imposait à toutes des prix et des règles uniformes.

Privée soudain de ces envois allemands, l’industrie textile s’est vue partout fort entravée ; des teintures inférieures furent employées ; les colorans végétaux, comme le bois de campêche, furent même sur le point de manquer. Les teinturiers, déchargés de leurs engagemens pour la garantie de durée, se plaignirent