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Rien ne s’oppose à ce que l’acier français, dégagé de tout accord avec nos ennemis d’outre-Rhin, prétende après l’annexion de la Lorraine à une expansion mondiale. Le cartel allemand usait avant la guerre de moyens irrésistibles pour soutenir ses exportations de fer, tout en maintenant des prix élevés à l’intérieur : au fabricant de toute machine expédiée au dehors il concédait une ristourne, ce que ne faisait pas le cartel français.


IV

Loin de renoncer à ses anciens procédés, l’industrie allemande se prépare à les perfectionner encore : c’est le dumping, le commerce à coups de ventes à perte. Le dumping est un mot nouveau qui désigne une très vieille pratique de la concurrence, l’écrasement d’un rival sous un bon marché transitoire en vue de s’assurer un monopole. Les Allemands, en s’associant pour des ruées commerciales en masses compactes comme à la tranchée, et en associant à cette tactique la force gouvernementale qui leur prête appui, ont élevé le système à la hauteur d’une institution vraiment nationale : primes ouvertes ou déguisées, remboursemens de frais de transport, bonifications occultes accordées par les producteurs entre eux, l’art de « tuer » un compétiteur étranger ou de le contraindre à demander grâce, c’est à quoi excellent nos ennemis.

Aux relèvemens de droits de douanes, dont nous avons maintes fois depuis dix ans entouré l’enfance délicate d’un produit nouveau dans une fabrique française, comme par exemple le permanganate de potasse à Graville-Saint-Honorine, les syndicats allemands ripostaient par des abaissemens de prix correspondans jusqu’à ce que notre usine eût capitulé. Ils usent, pour dompter les audacieux, de la manière douce autant que de la forte : qu’il s’agisse, d’instrumens d’optique ou de produits chimiques, ils vont jusqu’à faire des rentes à nos manufactures à la condition de ne pas aborder tel ou tel article ; et une maison française bien connue, qui avait beaucoup perdu à la suite d’une hardie tentative de lutte contre l’Allemagne, s’est résignée à toucher d’un cartel germanique 144 000 francs par an rien que pour se tenir tranquille.

Seulement, à généraliser ce renoncement, un pays s’efface