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Voilà, cher Président, ma confession tout entière. Veuillez me dire au plus vite si je dois suivre la piste sur laquelle j’ai été inopinément placé. Je me déclare tout à fait incompétent sur la valeur et même la possibilité de l’expédient proposé, au point de vue purement financier. Politiquement, il n’est pas douteux qu’un pareil témoignage d’intimité donné par le gouvernement anglais et sanctionné par le Parlement, après une discussion où la Prusse passerait mal son temps, serait d’un effet incalculable. Ce serait la réponse la plus éloquente à l’odieux dialogue échangé par le télégraphe entre l’empereur de Russie et le roi de Prusse et le point de départ d’une situation diplomatique toute nouvelle. Répondez-moi, je vous prie, le plus tôt possible : d’un instant à l’autre, on peut revenir. Quoiqu’il arrive, d’ailleurs, je n’irai chercher personne, à moins que vous ne m’en donniez l’ordre exprès…

J’ai fini sur ce sujet si en dehors de mes préoccupations habituelles. Un mot encore sur la Conférence et mon apparition dans cette petite assemblée diplomatique.

Sans me presser ouvertement, et accueillant avec bienveillance les trop bonnes raisons que j’ai de penser à toute autre chose qu’à la Mer-Noire, lord Granville est évidemment très pressé d’en finir. Il sent parfaitement qu’il joue un rôle ridicule dans cette réunion qui, en définitive, a donné, de bon accord avec la Russie, beaucoup plus qu’elle n’avait cherché à emporter de haute lutte. Disraeli le lui a fait sentir très amèrement dans le Parlement. Le monde diplomatique n’en parle pas sans sourire. Le plus tôt ce sera fini, et mieux ce sera pour le gouvernement anglais qui sent la faiblesse de la situation.

Que voulez-vous que j’y fasse ? Les questions qui restent à régler n’ont aucune importance. Dois-je me présenter comme si j’arrivais d’un voyage ordinaire et mettre une signature au bas des protocoles préparés, à côté de celle du ministre de Prusse de qui je serai obligé de serrer la main, puisqu’on me présentera à lui ce jour-là et que nous sommes en paix, ou à peu près ? C’est bien de l’humilité chrétienne ! Dois-je faire une protestation comme M. Jules Favre parait encore le désirer ? Quelle apparence de raison puis-je donner, si je proteste contre les principes du traité même que nous venons de signer ? On sera en droit de m’envoyer promener comme un enfant grognon qui sent la force, la subit et mord la main qui le frappe. Que