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barrières et chercher dans le régime particulariste une arme contre l’agression claironnante d’une industrie militarisée.

Tel était le but de la Conférence où les délégués des huit nations alliées, réunis il y a quelques semaines au quai d’Orsay, ont adopté le plan et formulé les règles de leur défense commune sur le terrain des intérêts matériels. Ces intérêts paraissent aujourd’hui de peu de poids, et qui donc y songe dans la tranchée ? Aux heures épiques que nous traversons s’applique la parole de l’Evangile : « Ne vous inquiétez point pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps de quoi vous le vêtirez ; la vie n’est-elle pas plus que la nourriture et le corps plus que le vêtement ? » Quand la nation joue son existence et que ses fils tombent par milliers sous les obus, ce n’est pas pour des traités de commerce qu’ils se font tuer, et la future entente économique ne semble qu’un pâle accessoire de la guerre.

Pourtant elle sera demain peut-être l’un des fruits les plus précieux de la victoire ; et déjà, quoique les traités s’écrivent plutôt sur les champs de bataille que dans les chancelleries, les Alliés, par l’association de leurs ressources et la garantie mutuelle de leurs débouchés, se sont assuré en commun, quelle que soit l’issue de la lutte, des avantages positifs vis-à-vis des Empires centraux.

Partie de ces mesures prises par la Conférence avaient un effet immédiat ; il lui fallait codifier les règles, jusqu’ici diverses, interdisant le commerce avec « l’ennemi. » Le Turc, en France, n’était pas officiellement désigné comme tel et son bazar restait ouvert ; les maisons soumises à l’influence de l’ennemi, ou contrôlées par lui, esquivaient la loi. Tel Suisse, naturalisé Français depuis la guerre, avait racheté, bien que sans fortune, une importante maison allemande et l’avait rouverte ; il est clair qu’il ne travaillait pas pour lui-même. En Italie, l’interdiction qui s’appliquait aux marchandises austro-hongroises et, depuis le 4 février 1916, aux allemandes, vise, non les personnes comme en France, mais les choses.

En Angleterre, cette interdiction n’est pas générale ; l’autorité y publie des « listes noires statutaires » de maisons « contrôlées, » « douteuses » et « ennemies. » Les sujets britanniques peuvent continuer à traiter avec les Allemands qui ne figurent pas sur ces listes. Ces différences ne laissaient pas