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de guerre a vite défrayé la littérature : il y eut les filleuls discrets et ceux qui le furent moins. Mais il y a un type de marraine jusqu’ici moins connu, la marraine collective : c’est une classe de lycée ou une école primaire. Le filleul n’est pas moins bien soigné. Quand il vient en permission, ayant plusieurs familles adoptives, il n’a pas assez de repas pour toutes. Dans quelques établissemens d’instruction, il y a la salle des filleuls, sorte de cercle du soldat plus intime et en miniature. Et on trouve parfois dans nos classes des photographies imprévues : un poilu, entouré de fillettes ou de petits garçons, car les marraines sont souvent des parrains. Ce qu’on ne dira jamais assez d’ailleurs, c’est que la marraine a apporté plus que des secours matériels à qui en manquait, un secours moral qu’on ne supposait même pas, a priori, aussi efficace et aussi nécessaire. La marraine devient vite la personne à qui on s’adresse pour les confidences sérieuses, les dernières volontés ; car, avec les camarades, on ne sait jamais si eux-mêmes survivront. On lui laisse le soin de prévenir, en cas de malheur, la famille, quand elle pourra être retrouvée : « La date de ma disparition sera celle de l’arrêt de ma correspondance. » Note charmante, après la note grave : on imagina de faire écrire à des papas par des fillettes ou des petits garçons qui portaient les noms mêmes de leurs enfans. — Aux filleuls « envahis » vinrent s’ajouter les filleuls prisonniers, autre institution née d’un autre besoin. Et le même lycée en eut des deux catégories. Il arriva qu’un soldat du Nord eut ainsi des nouvelles de son frère, depuis longtemps disparu. Un hasard heureux avait fait que le même lycée, le lycée de jeunes filles d’Agen, avait les deux frères, les frères Démarque, comme filleuls.

Qu’on se représente la vie d’un établissement scolaire où toutes ces tâches ont été assumées, sans préjudice de la tâche coutumière. Les jeunes filles, dont il a été surtout question, ont eu le sentiment que personne n’avait le droit d’être inutile, et qu’il leur fallait se rendre dignes des hommes. Elles y ont réussi et, dans l’histoire de l’Université pendant la guerre, il devra y avoir une large place faite aux établissemens de jeunes filles. Chaque directrice de lycée a raconté la vie de sa maison depuis 1914. Ces récits se ressemblent et diffèrent tout à la fois. La répétition monotone des mêmes formes de dévouement n’est pas d’ailleurs sans faire sur le lecteur une forte impression. Puis