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se rationne au goûter. On les visite, et c’est une récompense que l’on s’efforce de mériter. On chante pour eux le dimanche ; on leur donne des représentations ; on apporte (n’est-ce pas une charmante idée d’enfant ? ) on apporte à ceux qui sont pères des poupées pour leurs fillettes. L’établissement féminin le plus proche s’occupe de leur linge et raccommode leurs vêtemens. Bientôt cependant ces dévouemens épars ne suffirent plus aux bonnes volontés ; on eut l’ambition des œuvres, et chaque école ou chaque ville tint à avoir la sienne. Quelques-unes sont exquises d’invention et de tendresse : œuvre du morceau de sucre (pour sucrer le café du soldat) ; — œuvre de l’œuf hebdomadaire (cette œuvre, fondée par les fillettes de Carcassonne, augmenta de 150 œufs par semaine le menu des blessés d’un hôpital) ; — œuvre des deux légumes, qui eut un objet analogue ; — œuvre des oreillers ; — œuvre des béquilles ; — œuvre de l’argent de poche.

Les maîtres n’eurent qu’à diriger le mouvement, ou quelquefois à le suivre ; de leur côté ils apportèrent ce qui est leur richesse à eux, leur science, leur parole et leur cœur. Des conférences furent instituées dans les hôpitaux, qui rencontrèrent les auditoires les plus vibrans. Ou bien ce sont des leçons individuelles qui sont données à ceux qui n’ont pas appris ou qui ont oublié. Et la docilité de ces trop grands élèves récompense de tous les dévouemens. Les maîtresses enfin ont revêtu le voile blanc de l’infirmière. Elles ont fait ce que toutes les Françaises ont fait, et ce qui sera la poésie de ce temps d’horreurs ; mais les autres Françaises n’avaient pas une classe à faire en même temps. Une institutrice des Vosges, à qui on demande comment elle peut se partager entre les blessés et ses élèves, répond simplement : « Comme j’avais un service de nuit à l’hôpital, je ne manquais jamais la classe. » — Quand le blessé sort de l’hôpital, toute relation n’est pas rompue entre lui et l’enfant. Nous faisons allusion à cette charmante habitude que, dès le début de la guerre, prirent nos élèves, sur la suggestion de leurs maîtres, celle de saluer les blessés. Dans les grandes villes, où les rencontres sont fréquentes, cette manifestation peut créer une lassitude pour celui qui en est l’objet, après lui avoir causé d’abord une émotion mêlée de surprise. Dans les campagnes, plus rare, elle garde plus de prix ; elle signifie, pour celui qui reçoit le salut, une promotion en considération