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pour vous est trop sincère pour se passer de ces menus détails toujours précieux au cœur, surtout aux heures où les consolations sont si rares.

Je pense que votre voyage se sera effectué heureusement et qu’en arrivant ce matin, vous aurez trouvé le terrain bien préparé. J’insiste sur la nécessité de finir vite. Je vous en ai télégraphié. C’est dans une lettre adressée à M. de Rothschild que le juif Schroeder [banquier allemand] a écrit que les Prussiens avaient un médiocre goût pour leur entrée dans Paris et qu’ils y renonceraient, si la ratification arrivait ce soir. Je n’ai pas cru devoir vous laisser ignorer ce détail, bien que, d’après vos plans, cette ouverture ne puisse aboutir. Il y aurait peut-être quelque inconvénient à ce qu’un traité de cette nature fût voté avec précipitation, et cependant, à quoi bon le discuter ? chacun a son opinion faite et depuis longtemps et profondément enracinée et les phrases n’y changeront rien ! Elles mettront à nu nos plaies, provoqueront peut-être des récriminations et des colères. Le silence serait la vraie dignité. Si vous avez l’autorité nécessaire à le faire comprendre, vous aurez ajouté un nouveau service à tous ceux que vous avez rendus au pays, et vous aurez délivré Paris d’une angoisse et d’un danger qui nous causent toujours une vive inquiétude.

En effet, comme je vous le disais dans mon télégramme, l’agitation continue et se traduit par des symptômes d’une certaine gravité. Hier, depuis la place de l’Hôtel-de-Ville jusqu’à Ménilmontant, ont eu lieu des promenades désordonnées de gardes nationaux en armes. Des soldats, des marins et surtout des gardes mobiles de la Seine se sont joints à ces manifestations qui ont duré une partie de la nuit ; des canons ont été traînés triomphalement, des magasins d’armes pillés, ce qu’il y a de plus fâcheux, des cartouches enlevées. On aurait remonté de grosses pièces sur le rempart, ce qui est la violation de l’armistice. J’ai insisté auprès de M. le général Vinoy pour que ces faits fussent réprimés, ainsi que l’invasion de la gare du Nord par cinq bataillons qui arrêtent les trains. Mais le général n’a dans la main que sa troupe régulière qu’il ne veut pas éparpiller. La Garde nationale est absolument désorganisée, et les bataillons qui se livrent à ces désordres n’obéissent plus qu’à un Comité qu’on peut appeler insurrectionnel. Vous voyez que la situation est loin d’être commode et qu’il y a un grand intérêt à la dénouer.