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tabatière. Les armuriers n’ont pas une arme à vendre ; il faut attendre qu’on en fabrique. L’Angleterre, dit-on, nous en a vendu ; la Suède aussi, et on en attend d’Amérique. Nous gagnons du temps, on se prépare, on s’exerce, on entoure la place d’engins destructeurs ; tout ce que la science peut mettre en œuvre pour soulever le sol et produire des explosions est employé avec intelligence. J’ai visité hier Bercy et les fortifications, tout est prêt ; on démolit, on brûle autour des remparts pour que le jeu de l’artillerie soit libre. » (10 septembre.)

Deux jours plus tard, il revient d’une nouvelle tournée, plus content encore :

« La défense est prête ; les munitions abondent ; l’esprit général est bon. La garde mobile commence à se discipliner ; leur esprit est assez bon, et il parait qu’ils commencent à pouvoir user de leurs armes. J’ai essayé hier de coucher en joue avec un chassepot ; c’est toute une affaire. L’épaulement et le tir combinés offrent une difficulté réelle que l’habitude seule peut vaincre.

« En sortant d’Aubervilliers, je suis allé à Vincennes et de là à Joinville-le-Pont, pour me faire une idée de ce côté de Paris. Vincennes est bondé de canons ; les forts sont bien armés. Quant à Joinville, dont le pont doit sauter ce soir, toutes les maisons sont déménagées ; à la Tête-Noire, je n’ai pas pu trouver une soupe et une tranche de bœuf. A partir de Joinville jusqu’à Paris, même solitude ; par-ci par-là, on incendie les bois ou les rideaux d’arbres qui gêneraient la défense. On était en train de ramener le matériel ; les habitans avertis montaient en wagon avec leurs pendules, leurs statuettes, ce qu’ils ont ajourné à la dernière heure. J’ai rencontré un petit garçon qui ramenait ses joujoux. Il faut voir la désolation de ces pauvres gens qui vont attendre à Paris l’issue d’une lutte redoutable. »

Le tableau est mélancolique assurément, mais ne respire cependant que la confiance. Ce qui tourmente davantage l’observateur, c’est la sombre et vilaine politique. Certes, il ne regrette pas l’Empire ; il en parle sans tendresse : « Jamais peuple n’a été plus impudemment trompé et volé : des arsenaux vides, des cadres dégarnis, un état-major incapable, quelle leçon pour tous, et comme il faudra en profiter ! » Mais il ne lui semble pas qu’on en profite. Les nouvelles qui lui arrivent de toute la