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V

Les divers bruits qui courent, d’intervention diplomatique, de médiation, ne lui semblent pas sérieux. « On parle de paix sans y croire. On prépare la lutte, sans douter qu’elle s’engage d’ici peu de jours. » C’est le moment de l’arrivée en foule des gardes mobiles de province, moment de vie, d’animation, d’agitation pittoresque, que n’a oublié aucun des témoins. « Les costumes sont d’une variété singulière. Quelques compagnies sont très coquettement habillées. Tout le reste a pris la blouse bleue, blanche ou grise. » Pour commencer, on les loge chez l’habitant. C’est une joie générale. Dans la maison de la rue Thénard, il en loge treize : « Le quartier en est plein. » Il n’est pas à plaindre, celui que la chance du billet de logement a mené chez Aubert ! Il arrivait de Meaux et était venu à Paris en se repliant devant les Prussiens. « Depuis dix-huit heures, il n’avait pas mangé. Vous pouvez croire qu’il a dévoré mon bœuf, et visité avec soin le fond d’une bouteille de vin d’Anjou 1 Je le loge, j’ajoute 2 francs à sa solde de 1 fr. 50. On lui fera la soupe le matin pour qu’il n’ait pas l’estomac trop vide. »

Il arrive aussi à Paris des débris des armées vaincues, et ce n’est pas le spectacle le plus consolant : « On rencontre pas mal de soldats qui arrivent de Sedan. Il en passe toute la journée sur les boulevards. » Il y a même des cavaliers : « Pauvres hommes ! Leurs chevaux fourbus font pitié ! »

L’armement inquiète un peu. Mais on y travaille avec rage. Aubert a fait une tournée sur les remparts et dans un fort. Son impression est satisfaisante.

« Tout ici est en mouvement ; les forts sont prêts à une bonne et solide défense. Celui d’Aubervilliers, que j’ai visité hier, a déjà son armement complet. Il est approvisionné de vivres et de munitions pour un temps assez long. J’y suis allé serrer la main d’un de mes élèves qui s’y est enfermé mercredi avec trois compagnies de mobiles ; vous pensez que la garnison ne se borne pas à ces braves garçons ! Tout cela est consolant, quoique la défense ne laisse pas que d’inspirer des inquiétudes. On fabrique à force des cartouches, on distribue des armes, mais un grand nombre ne reçoit que des fusils à piston, en attendant qu’on puisse les échanger contre des fusils à