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ne savez peut-être pas, c’est que l’armée de Lyon est partie de Paris avant-hier soir pour se trouvera temps sur les derrières des Prussiens. On frémit à la pensée du nombre d’hommes qui vont se rencontrer ; peut-être 800 000 hommes en présence, dans un espace de dix lieues. C’est l’avenir de la France qui va se jouer dans cette redoutable journée.

« Ici tout se prépare en cas de malheur ; tous les travaux des fortifications touchent à leur fin ; nous avons eu les quelques jours de répit que le génie demandait ; la Seine est barrée ; toutes les portes sont fermées par des maçonneries solides, armées, et des meurtrières ; les canons sont en place ; les palissades en pieux forment en avant des portes une sorte d’enceinte avancée. Quant aux troupes, on ne voit que cela.

« J’ai vu hier M. de Talhouët[1] pour une affaire ; il est, vous le savez, du Comité de Défense ; nous avons un peu causé de tout cela… Le maréchal Bazaine a entouré son corps d’armée d’un secret impénétrable. Il a chez lui quinze, vingt sacs de lettres, toute la correspondance de l’armée, tout est retenu par son ordre ; on expédiera quand les inconvéniens n’existeront plus. Il parait en outre que les hommes de guerre du Comité ne se lassent pas d’admirer la conduite de Bazaine ; ses manœuvres sont magnifiques. Selon toute apparence, Mac-Mahon l’a rejoint. Enfin on attend et on espère ; ma lettre vous arrivera peut-être après la grande dépêche. » (31 août.)

Deux jours plus tard, on attend toujours « la grande dépêche. » L’impression favorable s’accentue : « On commence à croire que Paris ne sera pas assiégé. Les déménagemens de la banlieue n’en continuent pas moins ; c’est aux portes un encombrement de toute la journée, et comme on n’entre que par une ouverture étroite et contournée, le passage est fort retardé. » Paris continue à faire d’énormes approvisionnemens ; chacun veut être prêt, quoi qu’il arrive : « A la porte de Potin et des autres, il y a des barrières pour contenir la foule, comme aux théâtres à l’heure des représentations. »

Et la défense se prépare. « Des troupes partout ; le Champ-de-Mars est transformé en camp de troupes ; on loge les soldats partout. Notre collège, que les pompiers avaient occupé, est

  1. Le marquis de Talhouët-Roy, ministre des Travaux publics dans le premier Cabinet Ollivier, démissionnaire au Plébiscite, nommé, en août 1870, membre du Comité de Défense des fortifications de Paris,