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Mais il y a bien autre chose en l’air : u Nos élèves sont un peu animés. Ces bruits de guerre les émoustillent. Il faudra, non pas les laisser faire, mais leur rendre un peu la main, et tenir compte des circonstances. » Cependant, « hier au Concours général, tout s’est bien passé pour le Prix d’honneur. On a, par tradition, sonné les heures, c’est-à-dire poussé autant de hon ! hon ! qu’il y a de coups de timbre. A cela près, bonne journée. »

C’est encore la vie paisible. Quant à Aubert, je le vois d’ici, arpentant les vieilles cours aux murs noirs du vieux lycée, qu’égaie la verdure assez sincère de quelques platanes. Il va d’un pas rapide et nerveux ; il laisse flotter au vent les plis de sa toge, que bombe par devant un agréable embonpoint, et dont il rejette les largos manches d’un geste noble ; la toque sur la tête est plantée crânement, et un peu de travers. Ainsi pénètre dans sa classe, au fond de la première cour à gauche, notre maître.

C’était, je le déclare, un maître extraordinaire et comme on en a peu vu. Je connais plusieurs de ses anciens élèves : après un demi-siècle, ou peu s’en faut, aucun ne l’a oublié[1].

Dans son enseignement, c’était un classique résolu et pur ; il ne tolérait à ses élèves que bien peu de fantaisies en dehors des siècles sacrés, Périclès, Auguste et Louis XIV. Lui-même, peut-être, se donnait personnellement un peu plus de liberté. Nous savions bien au collège son antipathie pour les romantiques, pour Hugo par exemple, et bien plus encore pour Baudelaire, qu’il avait eu pour camarade de collège (en même temps qu’Octave Feuillet).

« Je l’ai bien connu, votre Baudelaire ! — dit-il, certain jour où il venait de confisquer en classe un exemplaire des Fleurs du mal. — Je l’ai eu pour camarade. Voulez-vous savoir quel cas faisait de lui Rinn, notre maître ? Or donc, la version du jour était ce texte fameux de Pline le jeune : Magnum proventum poetarum hic annus attulit.

— Lisez votre devoir, Baudelaire, dit M. Rinn.

  1. Je nomme, parmi ses anciens élèves, Paul Bourget et Denys Cochin, de l’Académie française, Noël Valois et Paul Girard, de l’Académie des Inscriptions, Gérard, ambassadeur de France, l’excellent historien Paul Lehugeur. — J’exprime ma reconnaissance à Paul Girard, qui m’a donné, pour cette étude, une aide si efficace.