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l’effort de chacun à l’intérêt de tous. La civilisation avance dans la mesure où l’égoïsme recule. Or, toutes les énergies de l’Allemagne ne perpétuent et n’étendent que son égoïsme Quand, au nom de ses aptitudes, elle aspire à l’hégémonie sur les peuples, ce n’est pas à leur avantage qu’elle songe, mais au sien. Quand elle prétend discipliner l’anarchie des indépendances nationales, elle veut combattre hors de chez elle les activités rivales de sa domination sur l’univers. Quand elle se prépare à mettre l’ordre dans le travail du monde par le conseil d’une volonté unique, experte à répartir partout les tâches selon les aptitudes et les productions selon les besoins, elle entend s’assurer le monopole des industries les plus avantageuses pour elle, abandonner au vulgaire des peuples les besognes inférieures comme eux, et capter à son profit la richesse. Elle s’adjuge un droit naturel sur tout ce qui a une valeur : il explique l’absence de scrupules avec laquelle ses marchands s’approprient les inventions du commerce, avec laquelle ses hommes de tout rang espionnent les secrets des Etats, avec laquelle ses érudits exercent un droit de suite sur les travaux des savans étrangers et font le silence sur les noms voleurs de gloire à l’Allemagne. Son orgueil pervertit jusqu’à sa religion, le sentiment le plus fait pour apprendre l’humilité à tous ; sa piété ne connaît que la prière du Pharisien, l’homme qui rend grâce à Dieu de n’être pas semblable au reste des hommes.

Si du moins ce dédain tenait tous ceux de son peuple unis jusqu’au sacrifice à la grandeur commune, la générosité des individus ennoblirait l’égoïsme de la race. Et n’est-ce pas cet oubli de soi qui apparaît dans leur fidélité à s’aider les uns les autres au nom de l’Allemagne, dans leur courage à combattre et à mourir pour la grandeur de leur pays ? Dans les combats de la paix et de la guerre, ils semblent, à l’image des Germains leurs ancêtres, liés les uns aux autres par des chaînes, tant ils font bloc de leurs forces. Mais quand les Germains se soudaient ensemble, ce n’était que pour garder toute leur puissance d’invasion, et par l’invasion chacun ne voulait que parvenir à sa part de terre fertile et ne songeait qu’à lui seul. De même si l’Allemand d’aujourd’hui a hérité cette discipline, si les groupes qui n’ont les uns pour les autres aucune tendresse, hobereaux, démocrates, conservateurs et socialistes, sont unanimes à suivre l’Etat dans toutes ses ambitions, ce n’est pas