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A qui peut revenir la tâche de venger les outrages des Infidèles, sinon à vous, Français, à qui Dieu donna, plus qu’à tout autre peuple, la noble gloire des armes, des cœurs grands, des corps agiles, et la force de ployer qui vous résiste ? Puissent émouvoir vos âmes et les exciter les actes de vos ancêtres, la prouesse et la grandeur du roi Charlemagne, de son fils Louis et de vos autres rois, lesquels ont détruit les royaumes des païens et reculé les frontières de la Sainte Eglise !… O chevaliers très preux, issus de lignages invincibles, souvenez-vous de la valeur de vos pères !… » Voilà comment il fallait présenter les choses à nos nobles aïeux. Et c’est ainsi que leur parlaient Jeanne d’Arc, qui se nommait elle-même la « Fille Dieu, » et Bonaparte, et avec lui les généraux républicains, et c’est encore l’esprit dont s’enflamment nos soldats quand ils surgissent des tranchées en chantant la Marseillaise, sous la bénédiction de leurs aumôniers.

Sans doute, la raison nous atteint et nous persuade. Nous entendons ceux qui nous disent que la France est un chef-d’œuvre réel et tangible dont il faut maintenir et perfectionner les formes ; qu’elle ne peut pas vivre sans Metz et Strasbourg, qu’elle a besoin d’équilibrer son Midi avec des populations du Nord et de l’Est ; qu’elle sera désarmée, ouverte, tant qu’il lui manquera ses frontières naturelles… Mais beaucoup demeureraient froids. Et pour se sacrifier, les fils de France veulent toujours n’être pas morts uniquement pour la France.

Il est arrivé que la France brisât la chaîne de ses traditions et perdît jusqu’à ses souvenirs, cependant elle demeurait fidèle à son âme. Dans chaque génération elle fait revivre des Roland, des Godefroy de Bouillon, des Bayard, des Turenne, des Marceau, ne sût-elle plus leurs noms, et toujours elle s’enivre avec des sentimens dont elle ne change que les formules.

Parfois le poème sommeille : jamais il ne fut plus fraternel, plus religieux qu’à cette heure. Comme de nombreux traits de l’Ancien Testament, obscurs et chétifs par eux-mêmes, ne prennent leur plein sens qu’à la lumière du Nouveau, de même les antiques prouesses des chevaliers et de nos aïeux respectés semblent n’être que la préfiguration des choses plus riches et plus saintes d’aujourd’hui. On dirait que l’histoire de notre nation tendait tout entière à ce que nous voyons depuis deux années. Des millions de Français sont entrés dans cet état