Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 34.djvu/484

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’ordre français. Plutôt une force qui ne rende pas, un organe qui ne fonctionne pas, que deux organes qui s’embrouillent et que deux forces qui se contrarient.

Ayons toujours présent que la victoire dépend de l’ordre, qui repose sur l’unité. Qu’il y ait un commandement, et que ce soit un commandement. Ceux d’entre nous que leur âge écarte de la seule tâche essentielle n’ont, pour calmer l’anxiété des heures, rien de mieux à faire que de lire et de méditer. Une page qui se recommande d’elle-même, c’est celle du Discours sur la première Décade de Tite-Live où le Secrétaire florentin (on nous excusera de le citer encore) examine « comment les Romains donnaient aux capitaines de leurs armées les commissions libres; » traduisons : de pleins pouvoirs, ou carte blanche. Elle nous conte l’aventure de deux délégués que le Sénat avait détachés au consul Fabius pour le dissuader de passer en Toscane : « Ils arrivèrent lorsqu’il était déjà passé, qu’il était déjà victorieux, et, au lieu d’empêcher l’expédition, ils revinrent en ambassadeurs de sa conquête et de sa gloire. » Ce fut, nous dit-on, fort sage : « parce que si le Sénat avait voulu qu’un Consul procédât dans la guerre de point en point selon ce qu’il lui ordonnait, il l’aurait fait et moins circonspect et plus lent. En outre, le Sénat s’obligeait à conseiller une chose à laquelle il ne se pouvait entendre ; car, encore qu’il comptât des hommes très exercés dans la guerre, néanmoins n’étant, pas sur les lieux et ne sachant pas une infinité de détails qu’il est nécessaire de savoir pour conseiller bien, ils eussent, en conseillant, fait une infinité d’erreurs. » Et c’est l’auteur même qui ajoute : « J’insiste là-dessus, parce que je vois que les républiques du temps présent, comme la Vénitienne et la Florentine, le comprennent tout autrement; et si leurs capitaines, provéditeurs et commissaires ont à mettre en position une artillerie, elles veulent être averties, et conseiller. Procédé qui mérite le même éloge que tous les autres, dont la réunion les a réduites à l’état où elles se trouvent de nos jours. »


CHARLES BENOIST.

Le Directeur-Gérant, RENE DOUMIC.