Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 34.djvu/482

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cartes, soit entre la Suisse et la Quadruple-Entente, soit entre la Suisse et l’Empire allemand lui-même, afin de pouvoir, dans un cas comme dans l’autre, s’ouvrir un chemin à travers le territoire neutre, et tourner Belfort par le Sud. Tout est possible. Mais la première intention suffit : il n’est pas besoin de compliquer. L’Allemagne exige de la Suisse, non pas vaguement de la marchandise, non pas une marchandise ou une autre indifféremment; mais elle dit laquelle, et elle le dit tout net, et elle le dit très fort : elle veut du coton. Mais, par-là même, c’est très simple. Nous qui n’ignorons pas ce qu’elle ferait de ce coton, et que dans le même temps elle en réclame à Stockholm, à Copenhague, et sans doute à Amsterdam ou à Rotterdam, comme à Berne, nous répondons : A la Suisse, tout ; rien pour l’Allemagne. Nous regrettons que la Suisse en éprouve indirectement quelque tracas ou quelque gêne, mais le souci de notre salut, qui est notre suprême loi, nous interdit d’en démordre. C’est l’Allemagne qui en démordra, quand elle verra que même notre ancienne amitié envers la Confédération helvétique, accrue de notre reconnaissance pour les soins attentifs dont elle a comblé nos blessés, n’a pu et ne pourrait pas nous émouvoir : déjà elle desserre les dents. Elle négocie, elle s’humanisera. Ce sera, alors plus que jamais, le moment de la surveiller.

Mais l’Allemagne, au dedans et au dehors, donne bien d’autres signes de sa nervosité. A l’intérieur, le ton des discussions parlementaires, des polémiques qui sonnent comme des querelles non seulement de parti à parti, mais de personne à personne, les changemens brusques, les démissions et les élévations, les sorties, les rentrées, depuis le renvoi de M. de Tirpitz jusqu’à la réapparition de M. de Bülow, qui n’a pas quitté ses villégiatures d’hiver et d’été pour le fade plaisir d’ajouter une conclusion banale à un livre en somme médiocre; le mécontentement, l’angoisse, l’agitation populaires ; les répressions policières et les poursuites judiciaires ; tout ce qui décèle un état de fièvre, un grand malaise, sinon encore un mal aigu. A l’extérieur, les faux pas qui se précipitent, les trames qui s’entre-croisent, partout, dans tous les pays et dans toutes les parties du monde, en Roumanie pour la retenir, en Grèce pour l’exciter, en Espagne pour se la concilier ; aux États-Unis pour les détourner des affaires d’Europe en lançant Hughes contre Wilson et Wilson contre Hughes, au Mexique pour paralyser les États-Unis en leur faisant tirer leur poudre aux moineaux, contre les Villa et les Carranza ; en Irlande, dans l’Islam africain et asiatique, pour provoquer des défections et fomenter des