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tient sous son feu Baranovitchi. Là, de quatre lignes de défense allemandes, tirées les unes derrière les autres, deux se sont déjà effondrées. En face d’Evert et de Broussiloff, le prince Léopold de Bavière, von Linsingen, et von Bothmer, bien qu’ils s’étudient à faire le meilleur visage qu’ils peuvent, ne fût-ce que pour donner une leçon aux Autrichiens, ne sont guère plus assurés. Les Russes leur reprennent peu à peu ce qu’ils avaient repris aux Russes. Un peu plus au Sud, le progrès de nos alliés continue dans la direction de la frontière galicienne. Plus au Sud encore, Letchitsky avance toujours ; les Autrichiens errent en déroute sur la rive droite du Dniester ; Pflanzer, si c’est encore lui, est à la recherche de son armée ; le chemin de fer étant coupé à vingt kilomètres à l’Ouest de Kolomea, c’est donc plus de 100 kilomètres que les Russes ont gagné depuis Czernovitz, et c’est, à dire d’expert, un point capital.

Dans quelle mesure l’énergique poussée de Broussiloff s’est-elle répercutée sur le front italien ? Y a-t-il eu vraiment réaction de cette action, ou fut-ce simple coïncidence ? N’y a-t-il eu que des mouvemens concomitans, sans relation directe ni effet réciproque, pas même en ce que la Bukovine, ainsi qu’on l’avait espéré, aurait « décongestionné » le Trentin ? Toujours est-il qu’attaquant à son tour, le général Cadorna a repoussé les Autrichiens de la majeure partie du territoire dont ils s’étaient emparés avec une apparente aisance qui n’avait fait que raviver leurs rancunes et aiguiser leurs convoitises. Ils combinaient, paraît-il, une double entreprise, par les deux bords du lac de Garde, sur Vicence et sur Brescia, c’est-à-dire sur Venise et sur Milan, comme pour reconquérir, en un accès de nostalgie envieuse, leur défunt royaume lombard-vénitien. Vicence, Brescia, noms classiques dans l’histoire des guerres, noms sacrés dans les fastes de l’Italie. Entre les deux, est le fameux quadrilatère, formé par les quatre places de Vérone et de Legnago sur l’Adige, de Peschiera et de Mantoue sur le Mincio. Ce sont les lieux célébrés par Dante, au chant vingtième de l’Enfer : « Là-haut, dans la belle Italie, gît un lac, au pied des Alpes, qui ferme l’Allemagne, sur le Tyrol, et a nom Benaco. Par mille fontaines, je crois, et davantage, entre Garde, et le Val Canonica, et l’Apennin, coule l’eau qui s’attarde dans ce lac. Au milieu, il est un point (le promontoire de Sermione) où le pasteur du Trentin, et celui de Brescia, et celui de Vérone pourraient tous trois, s’ils faisaient ce chemin, donner la bénédiction. A l’endroit où la rive va déclinant, est assise Peschiera, belle et forte citadelle capable d’affronter Brescians et Bergamasques. Là, il faut que tout ce