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Hindenburg, » qui va tout dévorer, qui ne va faire que deux enjambées jusqu’à Pétrograd et qu’une bouchée de l’Empire des tsars, le type même de l’homme d’armes tel que l’Allemagne se l’est de tout temps figuré, et tel qu’il était peint dans l’inscription que lut Montaigne quelque part en Bavière : Horridum militem esse decet. « Il faut que le soldat soit effrayant. » L’autre semaine, lorsque arrivaient les listes de prisonniers, montant successivement à cent quarante mille, à cent soixante mille, à cent quatre-vingt mille, à deux cent mille, à deux cent vingt mille hommes, les gazettes d’outre-Rhin, contraintes, malgré elles, de les enregistrer, riaient jaune, ou même ne riaient pas du tout, mais se consolaient : La joie de la Russie est troublée, à la pensée de ce que lui réserve Hindenburg. Eh bien ! oui, le « brillant Second, » en la personne de son général Pflanzer-Baltin, se laissait battre; mais Hindenburg arrangerait tout. Quels coups il porterait, quand il lui conviendrait seulement de lever le poing, et, dès qu’il foncerait, il enfoncerait ! Hindenburg a levé le poing, ses coups sont tombés dans le vide ; il a foncé et n’a point enfoncé. Il a déjà sur la poitrine la tête de Kouropatkine, qui passe pour être assez dure, formée à l’école opiniâtre autant qu’ardente des Skobeleff et des Dragomiroff, lesquels n’ont jamais eu la réputation de manquer d’allant ou de mordant. Aussi, les plus récens communiqués l’avouent, Hindenburg lui-même en est-il réduit à la défensive : le marteau est devenu enclume. Ce n’est vraisemblablement ni son goût ni sa faute. Il est la première victime de la nécessité, de la fatalité dynastique. On lui a pris ce dont le Kronprinz avait besoin pour la folle équipée de Verdun, et l’on n’a pas pu le lui rendre : il n’a plus avec lui beaucoup de monde. Et devant Riga, sur la Dwina, devant Dvinsk, près du lac Narotch, du côté de Vilna, qui est le nœud de ses voies ferrées et de ses routes, les Russes accourent par essaims. De longs mois, Hindenburg s’était flatté de les écraser sous le poids de son artillerie : ils lui opposent dorénavant les 105, 107, 152, 200 de leurs usines Poutiloff, les 120 et les 122 des usines françaises Schneider, alimentés, comme le fait observer amèrement la presse allemande, de munitions japonaises et américaines, que transportent en abondance des convois d’automobiles anglaises et belges. C’en est fait de son grand dessein, dont il étourdissait Berlin et l’Allemagne, et où Guillaume II, après en avoir ri et en avoir fait rire, avait fini par découvrir une vue de génie ; il n’a plus de quoi nourrir que de tout petits projets, qui, le plus souvent encore, sont des projets d’autrui.

Au centre, la même artillerie russe, cette artillerie toute neuve,