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sa carte postale était bien arrivée ; et puis il y avait dans la caisse un gros pudding de Noël, un bon gâteau fait à la maison, un kilo de sucre, et un respectable paquet de tabac, — du tabac anglais, le premier que nous voyions depuis neuf mois ! Et encore un paquet de papier à cigarettes ! Nous voulions commencer tout de suite par goûter au tabac ; mais Burgess a déclaré que non. Il a coupé en tranches le pudding, ainsi que le gâteau, et en a partagé les morceaux entre nous. Et puis, après que j’eus mangé ces énormes morceaux, j’ai dit : « Burgess, mon vieux, nous avons eu tort ! Cela est beaucoup trop, après neuf mois sans rien avaler d’un peu solide ! » Et, en effet, j’ai été malade, après cela, pendant deux ou trois jours. Mais, pour en revenir à cette fameuse soirée, ah ! je vous promets que nous ne nous sommes pas privés de fumer ! Burgess, surtout, se relevait de son matelas toutes les demi-heures pour allumer une cigarette. Non certes, si même je devais vivre cent ans, jamais je n’oublierais ce 18 mai 1915, où nous est arrivé le colis de Burgess !


Enfin, le matin du 29 novembre 1915, — « encore un des plus beaux jours de ma vie ! » nous déclare M. Arthur Green, — un camarade plus ingambe est revenu dans la chambrée annoncer à ses compagnons que l’on allait partir aussitôt pour Londres ! Et je n’ai pas besoin de dire quel fut, durant tout le voyage, le ravissement de nos éclopés ; mais combien à ce ravissement s’est encore mêlé de stupeur, lorsque, dans une gare toute proche de la frontière hollandaise, M. Green et ses compagnons ont reçu l’ordre de quitter le misérable wagon à bestiaux qui les avait amenés depuis Wittenberg, pour être transportés dans un superbe wagon sanitaire, avec « dix admirables couchettes à ressorts ! » Là, poursuit M. Arthur Green, « nous fûmes invités à nous dévêtir, ou plutôt à nous laisser dévêtir par une équipe entière d’infirmiers des deux sexes. Nos vêtemens furent rangés dans des sacoches dont on nous fit cadeau, tout cela propre et commode au possible. Auprès de chaque lit se trouvaient, d’un côté, une petite table mobile, de l’autre côté une étagère à livres, un cendrier, et un écritoire. Sans compter, naturellement, des lavabos, et des miroirs, et trente-six autres inventions du dernier modèle. » C’est dans ce wagon merveilleux que, dès l’heure suivante, les « rescapés » de Wittenberg ont eu la joie de pénétrer sur le sol hollandais. « Nous savions que nous étions dans un pays neutre, ajoute en terminant l’auteur de la brochure ; mais, jusqu’au bout de cette journée, nous n’en avons pas moins continué à trembler de peur. »


T. DE WYZEWA.