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récemment sorti de l’hôpital marchait le long de la barrière, lorsqu’une sentinelle a tiré sur lui, et l’a atteint une première fois. Puis, au moment où il se relevait, un second coup de fusil l’a étendu raide mort. Un jeune garçon russe a été blessé au ventre, mais a eu l’heureuse fortune d’en réchapper. Un autre Russe a reçu son affaire tout juste vis-à-vis de la porte de notre chambrée ; et personne n’osait aller le ramasser. Enfin le soldat Willis, mon camarade, s’est élancé au dehors et nous l’a ramené : mais le pauvre garçon est mort environ une demi-heure plus tard. Quant à Willis, celui-là peut se vanter d’avoir eu de la chance, car quelqu’un a tiré sur lui pendant qu’il était dehors, mais sans pouvoir l’atteindre. » Ou bien, d’autres fois, les gardiens entraient dans les chambrées avec d’énormes chiens, qu’ils lâchaient contre tel ou tel prisonnier dont la figure leur déplaisait. Les prisonniers étaient mordus, et toute la troupe des gardiens s’esclaffait de plaisir.

De même encore, c’était sans doute en manière de « bonne farce » que les autorités feignaient, à tout instant, de vouloir rendre la liberté aux « cochons d’Anglais. » Le 19 août, par exemple, M. Arthur Green et plusieurs de ses compatriotes, après avoir passé une nouvelle visite médicale, ont appris qu’ils quitteraient le camp dès le lendemain matin, pour être échangés contre des a grands blessés » allemands. L’après-midi, nos prisonniers, qui jusque-là n’avaient pas osé croire pleinement à la réalisation d’une promesse aussi merveilleuse, ont reçu l’ordre de dire adieu à leurs compagnons. Ils ont été emmenés à la salle de bains, puis soigneusement rasés et coiffés ; après quoi avec leurs plus beaux habits bien désinfectés, ils ont été installés pour la nuit dans une salle voisine de l’entrée du camp, où personne n’était admis à les approcher. Le lendemain à sept heures, pendant qu’ils étaient en train de déjeuner, tout rayonnans de joie, voilà qu’arrive un sous-officier allemand qui leur crie : « Hors d’ici, cochons d’Anglais, et scurry, hâtez-vous de retourner dans vos chambrées ! » La même comédie s’est renouvelée plusieurs autres fois : « mais nos hommes s’étaient dorénavant juré de ne prendre au sérieux les promesses allemandes que lorsqu’ils seraient déjà sur le bateau. »

Autre comédie : les visites à Wittenberg de M. Gérard, l’ambassadeur des États-Unis. Ce jour-là, dès l’aube, tout l’intérieur du camp subissait un nettoyage radical ; les rations de pain étaient au moins doublées, et la soupe devenait infiniment plus mangeable. Et comme l’ambassadeur Gérard, après l’avoir goûtée, déclarait, que, vraiment, « elle ne lui semblait pas trop mauvaise, » l’un des