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qu’ensuite ils répétaient infatigablement. Par exemple, ils ordonnaient qu’au premier coup de sifflet tout le monde eût à rentrer en hâte dans les salles, sous peine d’être aussitôt fusillé. « Et donc, à peine venions-nous de sortir dans la cour, que voilà que nous entendons le coup de sifflet ! Puis, quand on nous a tenus enfermés pendant une demi-heure, on nous fait dire que nous pouvons de nouveau prendre l’air ; et de nouveau, sitôt sortis, voilà le coup de sifflet ! Cette comédie nous énervait à tel point que plusieurs d’entre nous avaient entièrement renoncé à sortir. »

Un autre amusement des geôliers consistait à repaître les prisonniers de fausses nouvelles touchant leur pays. À ces malheureux qui, depuis près d’une année, se trouvaient empêchés de recevoir le moindre bout de lettre, on distribuait généreusement un journal imprimé en langue anglaise, et intitulé le Continental Times. « Jamais certes vous n’avez lu rien de plus comique, — écrit, avec sa résignation ordinaire, M. Arthur Green. — A en croire ce journal, nous avions perdu toute notre flotte, et nos troupes sur le front français étaient réduites à rien. Nous lisions que des zeppelins avaient détruit Londres, que le bombardement de Scarborough avait été une grande victoire allemande, comme aussi le torpillage de la Lusitania, qui transportait en France des milliers d’obus. On nous apitoyait sur le sort misérable des prisonniers allemands, traités par les Anglais avec une cruauté infernale. En un mot, ces sales bêtes mettaient dans leur feuille tous les mensonges qu’ils pouvaient imaginer pour nous empoisonner l’âme. » Semblablement, le journal publiait des listes de prisonniers anglais, où le nom de notre narrateur, en particulier, avait l’honneur de figurer au moins à deux reprises. Et malheur au prisonnier qui faisait mine d’incrédulité, en présence de ces abominables « canards : » celui-là était sûr d’avoir à « expier » plus rudement encore que ses compagnons la « trahison » des Kitchener et des sir Edward Grey !

Parfois aussi un véritable vent de folie s’emparait, soudain, des gardiens allemands. On les a vus déjà tout à l’heure se ruant, sur des prisonniers anglais, « comme des bêtes enragées. » Le 20 mai, de nouveau, il y eut à Wittenberg une de ces « crises, » résultant peut-être, chez les tortionnaires, d’une sorte de sentiment « néronien » de leur toute-puissance. Le fait est que soudain, sans l’ombre d’un motif, ces hommes que le départ de leurs chefs avait rendus maîtres absolus du camp se sont mis à tirer sur les prisonniers. Ils en ont tué trois, et grièvement blessé quatre. « Un Français