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soldats Day et Young, et le lendemain encore, le soldat Turner, tous les trois avec le typhus. Puis ce fut Parker : son cas était mauvais, mais il put s’en tirer. Puis Metcalf : il a traîné deux mois, et puis a fini par mourir. Des quarante Anglais venus le 3 décembre, nous ne restions plus que dix, et chaque jour en nous demandant quel serait le suivant.

Les prisonniers mouraient avec une moyenne de trente cas par jour, On les enterrait deux par deux dans une même caisse, que l’on emportait aussitôt pour la déposer à côté des autres. Tous les médecins et infirmiers allemands s’étaient enfuis depuis les premiers jours de la contagion : mais il nous était venu, vers le 7 février, six médecins anglais qui, de leur gré, s’étaient offerts pour essayer de lutter contre la maladie. Ils nous disaient combien ils déploraient l’absence de tous moyens de traitement, pour les victimes du typhus : et eux-mêmes étaient forcés de se nourrir comme nous, car nous étions absolument séparés- du monde, sans aucune possibilité de rien avoir que notre soupe et nos pommes de terre, — le pain nous ayant été presque entièrement supprimé. Nous perdîmes d’abord l’un de nos médecins ; puis un second, la semaine d’après, et puis le major Fry, frère du célèbre joueur de cricket, et encore deux autres officiers. Un seul des officiers anglais n’a pas été malade : un capitaine, qui se trouvait encore au camp lorsque j’en suis parti. C’est seulement en juin que le typhus a cessé de dévaster notre camp, vaincu par les soins des médecins prisonniers. Le total des morts avait été de 1 500 Russes, plus de 300 Français, et 87 Anglais.


Quant aux prisonniers qui avaient eu, par miracle, la chance d’échapper à la contagion, nous savons déjà, par le rapport des médecins survivans, que plus d’un enviait sincèrement le sort de ses camarades ainsi « délivrés. » « Ce fut pendant les mois de mars et d’avril, — nous dit, de son côté, M. Arthur Green, — que nous eûmes à passer les plus cruels momens. Affamés et anéantis de misère, chacun de nous était comme un loup furieux. Sans compter la démangeaison de nos poux, qui allait jusqu’à nous faire perdre la raison. Mais aucun remède à cet affreux fléau, si bien que nous n’avions qu’à pester et à supporter. » Du moins le départ d’un très grand nombre de leurs gardiens leur rendait-il la très précieuse faculté de fumer ; mais, hélas ! il y avait longtemps que personne d’entre eux n’avait plus réussi à se procurer la moindre pipée de tabac. « Nous fumions de la paille extraite de nos lits, ou bien, surtout, l’écorce des poteaux qui entouraient le camp. »


Encore les quelques gardiens allemands qui étaient restés au camp ne se privaient-ils pas du plaisir de torturer leur « bétail, » — et, de préférence, les « cochons d’Anglais ». M. Green nous décrit toute espèce de « bonnes farces » qu’ils avaient inventées, et