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colonel Buller, qui avait succédé au colonel Farquhar tué deux mois auparavant, reçut une blessure grave et fut remplacé par le major Gault. Le 8, ce fut terrible : bombardement ininterrompu, trois attaques de l’infanterie allemande. Blessé au bras et à la jambe, le major Gault dut céder le commandement au lieutenant Niven. Celui-ci, à la nuit tombante, prit dans sa main le drapeau donné par la princesse et qui n’était plus qu’une loque glorieuse, fit aligner dans la tranchée tous les morts, et récita pour eux ce qu’il put se rappeler de l’Office funèbre. La veille, à l’appel du matin, 835 hommes avaient répondu ; on n’était plus que 150 et quatre officiers, dont le lieutenant Niven. Mais les Allemands n’avaient pas passé.

Depuis, les Canadiens se sont héroïquement battus à Festubert, à Givenchy, aux Dardanelles. En dépit de leurs pertes, leur nombre augmentait toujours. Dès que la mort avait fait des vides dans leurs rangs, le camp de Salisbury ou celui de Shorncliffe leur envoyait de solides recrues.

Et ils ont continué, comme tous, à vivre la vie des tranchées. Comme tous, ils ont passé l’hiver sous la pluie et sous les obus, les pieds dans la fange glacée, l’œil au créneau. On fait au Canada tout le possible pour qu’ils ne manquent de rien, pour qu’ils soient bien nourris et bien équipés. On leur avait fabriqué, avant les premiers froids, 150 000 paires de « shoepacks » avec semelles, espèces de mocassins, grandes guêtres de cuir épais, mais souple, qui se bouclent au genou et où le pied est à l’aise. On leur a même fourni quatre paires de pantoufles à chacun, et peut-être sommes-nous un peu surpris de voir figurer tant de pantoufles dans un équipement de guerre, mais quelle idée nous faisions-nous jusqu’ici de la guerre que les faits ne soient venus contredire ? Grâce aux associations patriotiques dont j’ai parlé, ils sont abondamment pourvus de papier à lettres et de tabac, de ces « magazines » indispensables au bonheur de tout vrai citoyen britannique, de ces « candies » et de cette « chewing gum » dont il se fait dans toute l’Amérique du Nord une si formidable consommation. Quand ils sont de loisir et qu’il ne tombe pas trop d’obus dans le voisinage, ils jouent au cricket, au football, ou organisent des meetings athlétiques sous la présidence de leurs officiers. Ils ont eux aussi des journaux qu’ils rédigent et impriment eux-mêmes : le British Muséum s’occupe d’en rassembler une collection