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il est vrai de quelque inquiétude ; et c’est la Russie. D’autres enfin ont donné, jusque dans les œuvres de mort, des preuves, hélas ! irrécusables, de leur esprit méthodique et organisateur ; et celles-là, inutile de prononcer leur nom, il s’est tout de suite vomi sur vos lèvres. Mais ce qui fait de la France une nation unique dans l’histoire, — supérieure à la Grèce par le sérieux et à Rome par le sens de la justice, — c’est son culte inlassable et profond des idées. Tant que par spiritualisme il faudra entendre la subordination de la matière à l’esprit, non la poursuite d’un but spirituel par les voies les plus misérables de la matière, la France sera la plus grande puissance spirituelle des temps présens. Nous allons nous battre pour la France comme nos pères allaient se battre pour le Pape en 1869 : parce que, dans un âge où l’accroissement subit de la richesse économique a partout fait crever comme autant d’abcès la cupidité, l’égoïsme, l’envie et la haine, la France, victorieuse après l’épreuve qu’elle traverse en ce moment, — ne disons pas : la France régénérée, — la France recueillie, la France grave, sans peur et sans haine, abaissant son glaive et laissant déborder de son sein fécond sur le monde « le lait des humaines tendresses, » sera plus que jamais nécessaire à l’humanité. »

Voilà pourquoi M. Asselin s’est offert à lever un régiment, et pourquoi il est à présent « major dans les troupes du Roi. » Si les Canadiens-Français, également incapables d’oublier le « vieux pays » et de renier leur seconde patrie, ont pu éprouver parfois quelque difficulté à concilier ces deux cultes, c’est un malaise qu’ils ne connaissent plus aujourd’hui qu’en servant l’Angleterre ils défendent la France. Et la vérité est qu’au Canada les questions de races ou d’opinions ont cessé d’exister. Les élections qui devaient avoir lieu dans le courant de l’automne prochain, auraient pu réveiller les passions : elles ont été d’une seule voix renvoyées à l’année suivante. De l’Atlantique au Pacifique et du lac Erié à la baie d’Hudson, tout un peuple est uni dans le même effort.


III

Ce peuple de commerçans, d’industriels et d’agriculteurs était bien le moins militaire de tous les peuples. Point d’autre armée que l’inoffensive milice, et cinq ou six mille vétérans