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populations, d’abord un peu déconcertées, en ont pris lestement leur parti : elles laissent bouder leurs élus. Néanmoins, ceux-ci ne restent pas inactifs dans leur isolement. Avant tout préoccupés de sauver leur situation parlementaire, ils songent dès maintenant à exploiter les mécontentemens que les maux inévitables de la guerre auront pu provoquer dans les campagnes, plus cruellement éprouvées que les villes. Ils se préparent une plate-forme électorale des plus commodes. Cependant, au milieu de ces petits manèges, leur conscience ne semble pas en repos. J’ai pu m’entretenir quelques instans avec un de leurs grands chefs. Je l’ai trouvé désemparé, angoissé, perplexe, vieilli et comme dépassé par les événemens. Par une sorte d’automatisme verbal, il continuait à réclamer la paix, — la paix à n’importe quel prix, — à développer les thèmes archaïques du cléricalisme et de la réaction : l’Italie, à l’en croire, serait encore enfoncée dans le Moyen Age. Allait-elle interrompre l’œuvre à peine commencée de son affranchissement ? Enfin, l’Europe, saignée aux quatre veines, allait-elle se suicider au profit de l’Amérique et du Japon ? Il me disait encore :

— On nous a trompés ! On nous assurait que l’intervention italienne devait mettre fin à cette abominable guerre, qu’elle entraînerait celle d’autres pays neutres et qu’ainsi tout serait bientôt terminé. Mais personne n’a bougé et les massacres s’éternisent !…

Que répondre à ces jérémiades, sinon que, si par hasard elles étaient écoulées, elles n’aboutiraient qu’à paralyser la défense nationale, et ainsi à faire le jeu du militarisme et du féodalisme prussiens, à renforcer tout ce « Moyen Age, » que, par une singulière perversion visuelle, on veut bien voir en Italie, alors qu’on néglige de le voir en Allemagne ? Le jugement le plus modéré que l’on puisse formuler sur une telle attitude, c’est que, au lendemain de la guerre, les socialistes officiels auront de terribles comptes à rendre devant l’opinion, ne fût-ce que pour leur abstention théorique, dans une guerre où l’indépendance de leur pays était engagée.


Il n’en est pas de même pour les catholiques, bien qu’au premier abord et pour un observateur superficiel leur ligne de conduite offre une certaine analogie avec celle des socialistes