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s’exprimer, le silence qu’il garda et dont François souffrit cruellement. Quand la flotte royale mouilla le 4 septembre 1548 au port de Goa, le courrier de Rome distribua des lettres de lui à plusieurs missionnaires et n’apporta rien à l’apôtre.

Ces bateaux, si vides pour son cœur, lui amenaient de nouvelles recrues, et particulièrement deux hommes qui étaient aux deux pôles de la Société de Jésus : Gaspard Barzée et Antonio Gomez. Barzée, Flamand des îles de Zélande, ancien élève de Louvain, puis soldat des armées de Charles-Quint, puis ermite au Mont Surat, puis domestique d’un trésorier royal de Lisbonne, enfin novice à Coïmbre et membre de la Compagnie, avait l’âme d’un mystique, les audaces spontanées des Xavier et des Loyola, le coup d’œil sûr et prompt, une incroyable ardeur de vie. Sa profession de novice est belle comme un hymne, avec l’accent farouche de la passion. « Je servirai le prochain quel qu’il soit, sans exception aucune, lépreux, pestiféré, cancéreux, tous les infirmes de l’hôpital, quels que soient la nature et le caractère contagieux de leur mal. Je m’offre pour toute espèce de voyages dans les contrées les plus éloignées. J’irai sous des vêtemens grossiers et déchirés. Je m’exposerai à la faim, à la soif, au froid et au chaud, à la pluie et à la neige, à toutes les privations et à toutes les épreuves… » Il dira plus tard : « Je m’aide de tous les artifices que j’ai appris dans le monde pour voir si par eux je puis autant servir Dieu que par eux je l’ai desservi. Je tâche de rire avec ceux qui rient ; je chante quelquefois avec ceux qui chantent… Si je savais qu’à me voir danser quelqu’un dût en tirer un profit spirituel, je danserais. » Pendant la traversée, qui avait été terriblement houleuse, debout près du timonier, il bénissait la tempête. Du premier coup, il se donna entièrement à François dont il n’était pas digne, disait-il, de délier la chaussure.

Quand on passe de Barzée à Gomez, on passe du tumulte de la vie et du grondement de la mer à une salle de conférences ou de théâtre. Gomez était un homme de bonne famille, dont l’intelligence avait été très remarquée au séminaire de Coïmbre, et qui s’était déjà fait au Portugal une belle réputation de prédicateur. Polanco nous dit que les gens quittaient les courses de taureaux pour aller l’entendre. Il en était devenu aussi avantageux qu’un toréador. Nul don n’est mieux fait pour nuire à la modestie et au jugement que celui d’une parole facile