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soufflaient sur la panique. Ce fut alors que, du haut de la chaire, François gourmanda la population de sa crédulité et lui annonça la victoire des Chrétiens, le jour même où le roi d’Achin était battu, et, en tout cas, bien avant que la nouvelle ait pu lui en parvenir. Il n’en parle pas dans ses lettres ; et le Père Francisco Perez, arrivé à Malaca six mois après l’événement, ne semble pas y avoir attaché l’importance excessive que lui donnèrent plus tard les hagiographes. Mais entre le récit très simple qu’il nous en fait et les dépositions qu’on recueillit au bout d’une dizaine d’années, les imaginations avaient préparé le vitrail. L’expédition prit des proportions épiques, et peu s’en fallut qu’on n’en reversât tout l’honneur sur maître François.

Mais, à ce moment, il en concevait une autre dont les conséquences allaient être plus graves. Il y a dans sa vie, comme dans celle des grands aventuriers, un fort élément de romanesque. La Providence travaille pour lui ; mais elle ne peut se manifester que par des concours de circonstances pareils à ceux dont s’alimentent les romans d’aventures. Les plus belles situations sortent d’une rencontre imprévue. Au moment où tout va finir, l’erreur d’un aubergiste, une diligence manquée, fait que tout recommence.

François avait envoyé d’Amboine, l’année précédente, à Mansilhas et à Jean de Beira l’ordre de venir aux Moluques. Il les destinait à ce séminaire de martyrs, comme il nommait les îles du More, convaincu qu’elles seraient de toutes les terres d’évangélisation celle qui donnerait le plus de martyrs à la Société de Jésus. Il comptait sans le Japon et sans la Chine ! Mansilhas, qui s’était rebellé, avait trouvé un remplaçant ; et les deux missionnaires étaient déjà à Malaca. François put les avertir des labeurs que leur réservait leur nouveau poste. J’imagine que, lorsqu’il les conduisit au navire, il les vit s’éloigner avec une secrète envie sur cette, route où, dix-sept mois plus tôt, il s’était éloigné lui-même. Son retour dans l’Inde et à Goa lui causait des appréhensions. Il aurait voulu revivre encore ses nuits de prière au milieu des Alforous, où son âme s’élançait du plus misérable état des hommes jusqu’à Jésus Notre-Seigneur, sous un ciel dont les étoiles resplendissaient comme la face des Saints. Rien ne lui rendra l’émotion qu’il ressentit à mettre ses pieds hors de tous les chemins tracés. Sainte émotion, mais où entre peut-être un peu de cette curiosité profane qui