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De toutes façons, on arrive à cette conclusion que, le jour où nous disposerons de la Lorraine allemande, il nous faudra, ou vendre des minerais à l’étranger, ou acheter beaucoup de charbon et de coke en Allemagne, en risquant, chez nous, une crise métallurgique de surproduction, ou fermer des mines. La dernière solution a ses partisans, et c’est pour y répondre d’avance que je me suis attaché à rappeler les évolutions passées de la métallurgie. Il peut sembler sage et prudent, si on a trop de minerais pour le présent, de les réserver pour l’avenir et d’assurer l’alimentation des générations futures. Cela rentre bien dans les habitudes françaises.

Nos sociétés industrielles, comme nos gouvernans, nous traitent volontiers en enfans. Quand nous avons pris un intérêt dans une affaire prospère, on nous en dissimule les résultats et on ne nous en distribue que très partiellement les bénéfices, de crainte que nous ne soyons tentés de gaspiller. On stabilise autant que possible nos dividendes à un chiffre modique, de manière à pouvoir les accroître progressivement sans nous causer de déceptions. On pense beaucoup aux générations futures, aussi bien quand il s’agit de ne pas amortir les emprunts que lorsqu’on escompte le retour à l’État, dans un avenir éloigné, de concessions diverses ou de voies ferrées. De même encore, nos exploitans s’attachent à tirer tout ce qu’une mine contient de métal et sont choqués par la méthode anglo-saxonne, où l’on enlève le plus vite possible tout ce qui est immédiatement « payant, » en négligeant le reste, pour reconstituer un capital qui sera employé à une autre affaire. Le système français a du bon ; mais il ne faudrait pas l’exagérer. En particulier, pour le fer, qui peut savoir ce que nous réserve l’avenir ? Du fer, il y en a partout en abondance. Le premier caillou venu du chemin est un minerai de fer, puisque toute l’écorce terrestre en renferme en moyenne 5 pour 100, alors qu’un riche minerai de cuivre est un minerai à 2 ou 3 pour 100. La Lorraine est devenue le centre industriel que nous venons d’étudier parce qu’on a appris à se contenter de minerais phosphoreux à 35 pour 100. Qui peut prévoir si, dans trente ou quarante ans, quelque autre perfectionnement métallurgique ne dépréciera pas ces minerais par rapport à d’autres encore plus pauvres ou plus impurs, auxquels nous ne songeons même pas actuellement, mais qui offriront alors certains avantages : si, par