Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 34.djvu/345

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

interrompre ce développement incessant qui était la base fragile de toute sa prospérité. Je ne connais pas les chiffres des prévisions allemandes en métallurgie ; mais on peut bien, d’après les habitudes de leurs industriels, supposer qu’ils avaient dû former des ambitions supérieures à celles des nôtres. Or, en France, on comptait, avant la guerre, avoir atteint, dès 1920, un tonnage d’acier supérieur de moitié à celui de 1912. C’est cette nécessité de grandir toujours, avec une vitesse croissante, c’est cette course effrénée vers la fortune qui a grisé des cerveaux, d’ordinaire froidement calculateurs et qui, bientôt, les précipitera dans l’abime.


Au point où nous en sommes arrivés de cette étude, on voit comment, des deux parts, pour les deux pays ennemis, va se poser le problème du fer, si le développement des opérations militaires se poursuit conformément à nos espoirs les plus justifiés. Il est un point, entre tous, sur lequel la France est unanime et ne peut pas ne pas se montrer intransigeante : c’est la réoccupation totale de l’Alsace-Lorraine. La monstruosité commise en 1871 doit être réparée et il n’est pas possible qu’un seul village français reste en esclavage sous le joug allemand. Cette nécessité de droit et de sentiment ne semble, à première vue, avoir aucun rapport avec le sujet qui nous occupe ici. Néanmoins, j’en ai assez dit pour avoir fait comprendre que la réparation nécessaire d’une iniquité nationale va entraîner fatalement pour le fer la situation suivante. Demain, la France possédera la totalité de l’énorme gisement lorrain, et l’Allemagne, qui nous en avait ravi une partie, n’en gardera plus rien. Nous détiendrons du fer pour des siècles, presque à n’en savoir que faire, et l’Allemagne ne trouvera plus, sur son propre sol, les matières premières nécessaires pour alimenter son industrie métallurgique et les industries d’élaborations diverses qui en sont solidaires, pour fournir le fer indispensable sous toutes les formes à sa défense militaire. Une partie de son commerce d’exportation sera supprimée, ses facultés d’offensive seront paralysées et étranglées…

Voilà qui semble fort bien et l’on ne peut qu’applaudir à des prévisions semblables ; mais nous sommes à deux de jeu et, par le fait même que les conséquences seront aussi graves pour