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assurer la prospérité des pays qui, ensemble, auront conquis la victoire. » Et il me disait : « Tout cela est juste, au fond, tout cela est excellent. Mais n’allons pas si vite en besogne ! Ne demandons pas ce que personne ne peut nous donner et que nous devrons conquérir par les armes, si nous voulons l’avoir. Commençons par de simples accords diplomatiques et financiers sur des points précis ! Par exemple, pour raffermir notre confiance réciproque, pour écarter tout malentendu, tout sujet de conflit dans l’avenir, pourquoi la France se refuserait-elle à faire ce que proposait récemment M. Gabriel Hanotaux, dans un article du Figaro, — ce qu’elle a fait, en 1914, avec l’Angleterre, — une convention délimitant notre zone d’influence en Méditerranée, dans le Levant et en Afrique ?… Voilà pour l’avenir ! Pour le présent, la question du fret, celle du change monétaire, celle de la taxe des charbons sont, pour nous, des questions vitales, qu’il faut résoudre au plus vite et au mieux de notre intérêt, qui, dans l’occurrence, est l’intérêt commun. Après cela, au lendemain de la paix, nous aurons beaucoup à faire, pour accorder notre activité économique avec la vôtre. Songez que l’Italie est un pays agricole, comme la France, donc sa concurrente. Jusqu’ici, pour les produits de notre sol, l’Allemagne a été notre principale cliente. Il va falloir détourner notre exportation vers l’Angleterre, la Belgique, la Hollande, peut-être les pays Scandinaves. Pour cela, nous devrons passer par la France : un abaissement des tarifs douaniers, des communications moins coûteuses et plus rapides, surtout pour les primeurs et les denrées périssables, vont être nécessaires… Autre question non moins délicate : notre immigration ouvrière se dirigeait, pour une notable part, vers l’Allemagne. À présent, elle devra se rabattre sur votre pays, d’autant plus qu’il faudra combler, après la guerre, les vides de votre main-d’œuvre. Dans ces conditions, il me paraît difficile, pour vous, d’éluder un remaniement de votre législation du travail. Nos ouvriers, soutenus par nos syndicats socialistes, voudront être traités sur le même pied que les vôtres : égalité des droits, égalité des salaires : tout cela ne sera pas commode et ne se fera pas du jour au lendemain !… »

Évidemment, voilà bien des réserves. Les plus belles protestations sentimentales ne les supprimeront point. Mais, si réels que soient les obstacles, la volonté d’en triompher est