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situation à cet égard. Fort heureusement, pour le fer, il est permis d’être singulièrement plus réconfortant ; tandis que nous manquions de houille avant la guerre, nous abondions en fer au point de ne pas entrevoir, d’ici bien longtemps, l’épuisement de nos réserves ; le jour où l’Alsace-Lorraine sera redevenue française, nous en regorgerons.

Il n’en a pas toujours été ainsi, et c’est là un des exemples les plus remarquables de la révolution prodigieuse que peut produire, pour tout l’avenir d’un grand pays, une découverte scientifique ayant pris une application industrielle. Si la France possède aujourd’hui cette merveilleuse richesse en fer, si, à la condition de se procurer de la houille, elle peut reconquérir une place industrielle de premier ordre, cela tient à ce qu’on a trouvé le moyen d’éliminer dans la fonte de fer un petit élément chimique, le phosphore, que les minerais contiennent souvent en quantités infimes, par millièmes, et dont la présence suffit pourtant, comme un bacille d’Eberth ou de Koch dans un organisme contaminé, à gâter irrémédiablement le fer obtenu., Le procédé de déphosphoration basique, auquel on donne le nom de Thomas Gilchrist, a permis d’utiliser des minerais de fer qui existaient par milliards de tonnes en Lorraine et qui y semblaient, jusque-là, sans valeur.

L’histoire de notre industrie ferrifère, dont c’est là seulement la dernière phase, est bien connue. Rappelons-la pourtant avant de décrire l’état présent ; cela nous servira à montrer comment, avec le temps, une industrie aussi essentielle que celle du fer se déplace, se concentre ou se dissémine « et recourt tour à tour à des minerais changeans qui, la veille, étaient méprisés et qui pourront l’être demain. La leçon est bonne à retenir pour l’avenir. C’est pourquoi je vais remonter d’abord un peu loin.

La France celtique et gallo-romaine a été un pays de minières et de petites usines à fer dispersées de tous côtés sur l’étendue du territoire. Les auteurs anciens font fréquemment allusion à la richesse en fer des Gaulois et à leur habileté d’armuriers. César, dans un passage qui pourrait être écrit d’hier, montre les Bituriges utilisant, pour la guerre de tranchées et de contremines autour d’Avaricum, leur talent connu de mineurs. Des restes d’exploitations celtiques ou romaines, avec des outils, des lampes, des fours de fusion, ont été retrouvés un peu partout dans le Bourbonnais, le Berry, le