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yeux 86 citations. Je n’en reproduirait qu’une, qui est caractéristique :


Julia, sous-lieutenant au 34e d’infanterie. Le 25 janvier 1915, a montré le plus profond mépris du danger sous un bombardement d’une extrême violence. A su, malgré sa jeunesse, prendre sur ses hommes un réel ascendant, a repoussé une attaque menée contre ses tranchées, et a été atteint d’une balle en pleine figure, lui occasionnant une blessure affreuse. Bien que ne pouvant plus parler, a écrit sur un billet qu’il ne voulait pas être évacué ; ne s’est rendu à l’ambulance que quand l’attaque ennemie a été refoulée. Cet officier, reçu le premier à l’École polytechnique et à l’École normale, venait de rejoindre le front et voyait le feu pour la première fois. (Journal officiel du 21 février 1915.)


Je n’ajouterai rien ; il y a des textes que tout commentaire affaiblit. Je dirai seulement, car on sera sans doute heureux de le savoir, que celui qui a mérité cette citation a échappé à la mort.

On sait ce que sont, à l’Ecole normale, les agrégés préparateurs. C’est, parmi les scientifiques, une élite qui prolonge ses études, et dans laquelle se recrutent les professeurs d’enseignement supérieur, les savans de demain. Ils étaient dix. Le total des morts et des blessés dépasse le chiffre 5. Elle est de l’un d’eux, qui était marié, qui était père, Chatanay, l’admirable lettre, auguste dans sa simplicité, où tant de force morale s’ajoute à tant de tendresse, lettre qui a été publiée déjà, mais qu’il est impossible de rencontrer sans désirer, en la relisant, s’incliner devant la mémoire de celui qui l’a écrite :


Ma chérie, j’écris à tout hasard cette lettre, car on ne sait pas… Si elle t’arrive, c’est que la France aura eu besoin de moi jusqu’au bout. Il ne faudra pas pleurer ; car, je te le jure, je mourrai heureux s’il me faut donner ma vie pour elle. Mon seul souci, c’est la situation difficile où tu te trouveras, toi et les enfans… Tu embrasseras pour leur papa les chères petites, tu leur diras qu’il est parti pour un long, très long voyage, sans cesser de les aimer, de penser à elles, de les protéger de loin…

Il y aura aussi un petit bébé, tout petit, que je n’aurai pas connu. Si c’est un fils, mon vœu est qu’il soit un jour médecin, à moins cependant qu’après cette guerre, la France n’ait encore besoin d’officiers. Tu lui diras, lorsqu’il sera en âge de comprendre, que son papa a donné sa vie pour un grand idéal, celui de notre patrie reconstituée et forte. Je crois que j’ai dit l’essentiel. Au revoir, ma chérie, mon amour. Promets-moi de n’en pas vouloir à la France si elle m’a voulu tout entier. Promets-moi aussi de consoler maman et papa, et dis bien aux petites filles que leur pore, si loin soit-il, ne cessera jamais de veiller sur elles et de les aimer. Nous nous