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ses maîtres qui tenaient pour leur fonction essentielle de remplacer la morale fondée sur une loi surhumaine par une morale fondée sur la raison incrédule. Les échos de la tentative réveillèrent en Espagne les hommes encore somnolens de la Révolution. Sous la suggestion de l’exemple, les plus hardis empruntèrent d’abord à la France la forme du pouvoir et essayèrent ; de 1873 à 1875, la République ; puis, par une imitation plus durable, s’instruisirent à sa philosophie d’Etat. Plus ils s’avouèrent adversaires du passé, plus leur faiblesse dans leur pays avait besoin de s’affermir par leur solidarité avec le gouvernement français, et celui-ci, conscient que sa tentative philosophique rompait avec l’opinion générale des peuples, sentit le prix d’une entente faite pour le soustraire à sa solitude, le transformer en initiateur et l’Espagne en disciple. Avec la hardiesse des novateurs espagnols s’accrut donc leur attraction pour la France. Ils y trouvaient répandues les formules et entreprise l’expérience d’une société meilleure, et le parti maître de la France mit une coquetterie intéressée à les convaincre qu’aussi en Espagne il suffisait à la minorité de vouloir pour s’imposer. Jamais donc la politique révolutionnaire des deux peuples n’eut des acteurs plus ressemblans, des efforts plus concertés, des desseins plus pareils.

Et, à cause de cela, cette politique souleva dans l’Espagne une hostilité toute nouvelle. En France comme en Espagne, les partis désavoués par cette opposition ne méconnurent pas son caractère, qui était surtout religieux. Mais les libres penseurs de France jugeaient moins exactement son importance en Espagne, s’ils crurent ce mouvement paralysé par l’inertie générale, s’ils le dédaignèrent comme une manœuvre du sacerdoce pour défendre ses privilèges et ses richesses. Rien de plus sommairement incomplet que de limiter une telle dissidence aux intérêts, à l’égoïsme d’un seul corps. Dans cette lutte, au contraire, l’homme d’Eglise fut puissant, en Espagne, parce qu’il ne combattit pas seul et pour lui seul. Personne comme lui n’a contact avec les inconnus, compagnie avec les humbles, prise sur les ignorans ; mais il les émut, et avec eux les classes cultivées, parce qu’il appelait la nation entière au secours d’une cause universelle. L’Espagne, étrangère d’habitude aux querelles minuscules des factions, connut par lui la grande menace, et à lui, pour prédire les résultats