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suprême de sa vie, une morale qu’elle croyait révélée par Dieu même et dont le sacerdoce gardait le dépôt immuable ; elle partageait le soin des intérêts terrestres entre des corps autonomes, hiérarchisés, perpétuels, qui, par l’autorité des plus aptes et des meilleurs, tenaient la multitude en obéissance, en ordre et en paix. Le XVIIIe siècle s’aperçut que, dans cette solide structure, l’homme n’était pas seulement clos, mais captif, mais emmuré : non seulement les pouvoirs sociaux l’empêchaient d’ébranler les fondations qui dans l’édifice étaient l’œuvre divine, mais ils régnaient en maîtres sur les affaires purement terrestres de la communauté et sur la vie de chacun. Transmettre intacte à l’avenir une tradition des intérêts généraux et collectifs, ne pas abandonner les murs de soutènement au caprice du premier venu qui ébranlerait leur équilibre et leur durée, était une sollicitude légitime ; mais la pousser au superflu était sacrifier les vivans à ceux qui ne sont plus et à ceux qui ne sont pas encore. Sans démanteler l’enceinte des institutions intangibles, n’était-il pas juste de reconnaître aux hommes plus de droits sur leurs affaires purement terrestres ? Puisque la raison suffit à conduire celles-ci et que la raison n’est pas un monopole confié à quelques-uns pour le profit de tous, mais se partage entre tous comme le trésor de chacun, chacun n’avait-il pas aptitude pour régler seul ses activités particulières, et pour jeter sur les affaires générales, c’est-à-dire communes à tous, le regard non d’un étranger, mais d’un maître ? Ce que la raison avait droit de se demander, la France, au XVIIIe siècle, se le demanda. Contre les excès de l’autorité, ses excès et non ses principes, elle soutint les franchises de l’autonomie individuelle. Cette modestie de désirs qui bornait la réforme à la guérison de l’abus, cette certitude que l’avènement de la liberté était contenu dans les révélations du christianisme sur la dignité humaine, cette justice pacifique, ardente, tendre, qui cherchait sa perfection, remplirent alors l’âme française. Et par le rayonnement cette foi devenue apostolat, puisqu’elle était française, devint à son tour l’espérance universelle. Cette réforme ne suffisait pas à une minorité d’esprits absolus, haineux et destructeurs, qui imposaient à la raison, pour droit suprême, de croire à elle seule, et, pour tâche essentielle, d’assigner à son tribunal, comme suspectes, toutes les lois respectées jusque-là comme intangibles. L’existence d’un créateur qui eût borné la