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les Pyrénées. Je m’étais joint à eux. Si l’on demande à quel titre, je répondrai comme le Petit-Jean des Plaideurs : « Moi, je suis l’Assemblée. » Après avoir vu et entendu, et pour ne pas rester tout à fait inutile parmi eux, je veux dire ce qu’ils ont fait.


II

Entreprendre une longue route avec l’espoir de trouver à qui parler, et cela parce qu’on se sait résolu à taire toutes les controverses irritantes et qu’on invoquera seulement la raison, est un très audacieux acte de foi dans la conscience humaine. La tentative serait simple, si l’état naturel des gens était l’impartialité. Mais il n’y a de simples que les psychologues, quand la bonté de la cause les rend sûrs du juge. Hommes et peuples, au contraire, font de leurs préjugés leurs conseilleurs intimes et ne se laissent guère persuader par qui leur déplaît.

C’est une de nos faiblesses nationales de croire que nous sommes aimés. Comme nous nous sentons sans jalousie, que nous ne formons de mauvais desseins contre personne et que même le bonheur des autres est une part de notre propre bonheur, nous espérons d’eux la même justice. Nous l’obtiendrions mieux sans une disposition d’humeur que nous tenons pour un agrément. Comme nous nous distrayons sans méchanceté aux aspects plaisans des choses et des êtres, sans nous excepter nous-mêmes, nous convions les autres à prendre leur part de la gaîté qu’ils nous inspirent. Or cette disposition d’esprit n’appartient qu’à nous, elle reste incomprise des autres peuples. Pour eux, la malice contient de la malignité, la raillerie est un commencement de mépris, notre verve spontanée renouvelle les preuves d’une malveillance continue. Nous ne saurons jamais combien celle habitude nous a valu d’inimitiés. Et si nous avions encore une école de diplomates, il faudrait leur répéter comme un des préceptes les plus essentiels à leur métier : « Gardez-vous de la belle humeur au dehors ; l’esprit français n’est pas un article d’exportation. »

Il n’y a pas un pays où ce rire ait sonné plus faux qu’en Espagne. L’Espagnol ne rit guère. Sa destinée lui a rendu familières les grandeurs et les épreuves ; ni les unes ni les