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voix calme de ses philosophes, précise de ses savans, prophétique de ses poètes, impérieuse de ses écrivains, hautaine de tous les Allemands répandus sur la terre, et c’est l’immense rumeur d’une seule pensée. Le genre humain a une mission : transformer en grandeur la petitesse de l’homme. Par des êtres fixés chacun sur une imperceptible parcelle du sol, il occupe l’univers ; par la somme de leurs forces minuscules, il assemble sa force irrésistible ; et par la succession de leurs vies éphémères, il perpétue sa continuité. Il a donc toute l’importance qu’ils n’ont pas, et il ne peut rien que par leur aide : de l’homme il a à la fois tout à attendre et tout à craindre. Car chacun, mû par son libre arbitre, heurte aux désirs des autres ses désirs, et l’anarchie des efforts contradictoires n’est pour les individus que souffrance et pour le genre humain que stérilité. La civilisation a commencé avec la discipline qui limitait cette anarchie. Peu à peu les luttes entre les personnes furent contenues par l’autorité de la famille, celles entre les familles par l’autorité de la tribu ou de la commune, celles entre communes ou tribus par l’autorité de la race ou de l’État. Aussi loin que l’État commande, ses lois règlent souverainement les rapports des hommes entre eux, avec lui, et maintiennent parmi ses sujets la paix, c’est-à-dire la société. Mais l’État est la plus vaste étendue où les hommes vivent sous la dépendance d’un seul pouvoir. Entre les États, multiples comme les races, il n’y a pas de droit reconnu et sanctionné. Ils gardent les uns contre les autres le droit de nature, c’est-à-dire le droit de la force. C’est par grandes masses qu’ils sont organisés pour se soustraire à tout pouvoir supérieur à eux et rester redoutables les uns aux autres. Même lorsqu’ils se disent pacifiques, ils mesurent leurs progrès au déclin de ceux qui les entourent, pratiquent la paix de façon qu’elle prépare les guerres, imposent aux faibles les lois de la violence heureuse, et nomment ce régime la civilisation.

« Un ordre si imparfait, conclut la logique allemande, ne saurait être tout l’avenir du monde. Ce qui est commencé réclame et prépare un achèvement. Ainsi que les individus se sont groupés par familles, les familles par régions, les régions par États, les États doivent se subordonner à un pouvoir universel. L’évidence de cette nécessité est telle, que plusieurs fois ils ont entrepris de se créer l’ébauche d’un droit commun et