Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 34.djvu/246

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quelques semaines, par quelques membres de nos Académies.

A leur projet n’avaient pas manqué les contradictions. « Qu’allez-vous faire, leur disait-on, chez le plus résolu, le plus impassible, le plus fermé des peuples neutres ? Comptez-vous sur une justice que l’invasion de la Belgique n’a pas émue, sur une humanité que les excès dénoncés par les victimes mêmes n’ont pas attendrie ? D’avance vous désespérez de le gagner, puisque vos plans se bornent à l’entretenir de philosophie, de science, d’histoire et d’art, c’est-à-dire des sujets les plus étrangers aux conjonctures actuelles, quand il n’y a d’yeux et d’oreilles que pour le drame de la guerre. Les plus illustres maîtres de la pensée pure égarent leur autorité, s’ils la hasardent parmi les agitations des armes et des foules. Archimède ne se trouva pas bien d’avoir quitté la solitude de son cabinet pour suivre les problèmes habituels à son génie, dans le tumulte d’une ville assiégée. Un sort plus obscurément funeste, mais fâcheux encore se prépare pour vous : les orateurs, comme la nature, ont horreur du vide, au moins du vide dans les auditoires, et c’est le vide qui vous attend. »

A quoi les partisans du voyage répliquaient :

« Avant de blâmer, veuillez comprendre. Nous ne prétendons pas changer les dispositions militaires de l’Espagne. Elle seule a à prendre conseil d’elle-même. Ses troupes, si estimables soient-elles, ne manquent pas à nos armées. Il nous serait précieux qu’au moins ses sympathies fussent avec nous ; mais c’est encore son affaire plus que la nôtre. Ne pas obtenir justice n’est qu’un malheur ; la refuser est une faute, où ne s’obstinera pas l’Espagne, car l’Espagne est une conscience. Il ne faut pas retarder ses scrupules par ses défiances contre l’importunité des sollicitations : le plus court est d’attendre l’heure où elle se lassera d’accorder, comme à des fautes vénielles, l’amnistie de son silence aux iniquités criantes et aux crimes atroces.

« Mais dans cette guerre il y a autre chose que la guerre. Elle est plus qu’un accès chronique des colères habituelles entre peuples, elle est l’affirmation d’une doctrine née avant la guerre et née pour survivre à toutes les guerres. Elle est une tentative pour mettre les faits d’accord avec le dogme que l’ordre naturel du monde exige la souveraineté universelle de l’Allemagne. La voix cruelle et confuse de ses canons s’ajoute à la