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près, dirent la même chose: les circonstances exigeaient que l’Italie eût un ministère vraiment national, et elle n’aurait de ministère vraiment national que lorsque tous les partis y seraient représentés. À quoi bon insister longuement ? On vota. Il n’y eut que 158 voix pour l’ordre du jour Luciani; il y en eut 197 contre; le ministère Salandra était en minorité de 39 voix. Dans la majorité hostile, on compte : 35 socialistes officiels; une dizaine de socialistes indépendans, genre Enrico Ferri, Arturo Labriola, Ettore Ciccotti; autant de républicains; 16 socialistes réformistes; 48 radicaux ; 4 députés du groupe Luzzatti, et M. Luzzatti en personne, dont le non, inattendu de beaucoup, a soulevé une certaine émotion ; deux ou trois nationalistes; autant de syndicalistes catholiques; sept ou huit « isolés » de la droite et du centre, une quinzaine de démocrates de gauche; autant de démocrates-constitutionnels; enfin une trentaine de députés, plus ou moins étroitement attachés à l’ancienne majorité giolittienne : entre autres, MM. Schanzer, déjà nommé, Facta, Cocco-Ortu, et le confident, le correspondant, le disciple à qui le maître adresse ses épîtres, le dépositaire des grands secrets du parecchio, l’ex-chef du cabinet de M. Giolitti, M. Peano, et le propre gendre de M. Giolitti, M. Chiaraviglio. Quant au « patron » lui-même, il n’a pas bougé de Cavour, au moins pour venir à Rome. Il est, dit-on, amateur de rosiers, et voici la saison des roses. Qu’il soit à Cavour ou ailleurs, un homme qui a joué le rôle qu’il a tenu dix années durant, ne manque pas de quoi s’occuper, ne fût-ce qu’à se souvenir. Détail que la chronique peut transmettre à l’histoire, et où la morale aussi est intéressée : au moment du scrutin, on vit entrer en troupe dans la salle un nombre assez important de giolittiens repêchés, sous la conduite de M. Peano, et l’on en vit sortir une cinquantaine de membres des différens partis, amis de Platon certainement, mais plus encore amis de la Fortuna, stoïciens surtout en ce qu’ils supportent sans peine les tribulations d’autrui, et en ce que, dans le doute sur l’issue de la bataille, ils s’abstiennent volontiers. C’est pourquoi, de 415 députés dont la présence avait été pointée, il n’y eut que 355 votans. Une soixantaine livrèrent la place, en la quittant, à la façon dont les rats de la fable abandonnèrent le vaisseau qui naufrageait.

M. Salandra ne pouvait que se retirer, ou du moins qu’offrir sa démission. Il n’hésita pas. Le Roi, revenu en hâte du front, n’hésita pas non plus sur la solution à donner à la crise. Le motif le plus honorable pour lequel elle s’était ouverte, c’est que, dans la situation où était l’Italie, particulièrement à l’heure où l’effort ennemi se déployait