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Fontaine, sa philosophie épicurienne et libertine. Mais La Fontaine ajoute : « J’en reviens à ce que vous dites de ma morale, et suis fort aise que vous ayez de moi l’opinion que vous en avez. Je ne suis pas moins ennemi que vous du faux air que prend un libertin. Quiconque l’affectera, je lui donnerai la palme du ridicule. » Ainsi, La Fontaine, que nous serions tentés de ranger parmi les libertins, les condamne. Ce qu’il condamne, plus exactement, c’est la doctrine et c’est le dogmatisme du libertinage ; c’en est l’affectation : c’en est le cynisme. Un Nicolas Vion-Dalibray, un Desbarreaux et un Lhuillier sont des cyniques ; et voilà ce que La Fontaine a blâmé. Ce sont des gens qui font la théorie de leur désinvolture, qui affichent leur mécréance et leur débauche, et qui ont de la superbe dans l’inconduite. Il y faut de la modestie, au moins de la simplicité.

Il y faut de la bonhomie. Et ce fut, dans sa vie hasardeuse, l’art de La Fontaine. Cette bonhomie, c’est ce qu’on appelle sa naïveté ; c’est ce qu’il appelle son ingénuité. Il n’était pas du tout naïf et il suffit de l’avoir lu pour être sûr qu’il ne l’était pas. Il était fort avisé, très malin, dans son art, dans ses pensées, dans l’arrangement de son existence. On a de lui des lettres d’affaires qui montrent que, s’il a négligé parfois ses intérêts, pourtant il ne les ignorait pas. Mais il aimait assez qu’on le crût naïf. Et il n’était pas ingénu le moins du monde ; mais il aimait assez qu’on le crût tel. Dans son remerciement à Messieurs de l’Académie française, il dit : « Mon ingénuité… » L’abbé de La Chambre, alors directeur de la Compagnie, va le chapitrer sans douceur : « Songez que ces mêmes paroles que vous venez de prononcer et que nous insérerons dans nos registres, plus vous avez pris peine à les polir et à les choisir, plus elles vous condamneraient un jour, si vos actions se trouvaient contraires, si vous ne preniez à tâche de joindre la pureté des mœurs, la pureté du cœur et de l’esprit, à la pureté du style et du langage. » A une telle semonce, que répondre ? — « Mon ingénuité… »

Son ingénuité ?… Il n’est pas ingénu dans ses Contes, où la polissonnerie n’est rien, mais où la perversité est délicieuse. « S’il y a quelque chose dans un écrit qui puisse faire impression sur les âmes, ce n’est nullement la gaîté de ces contes ; elle passe légèrement… » Mais il sait qu’il n’y a pas que de la gaîté dans ses contes ; et il n’est pas ingénu, quand il se vante d’y avoir observé les lois de la bienséance, qu’il nous invite à ne pas confondre avec la pudeur. Il n’est pas ingénu dans ses fables, où Lamartine trouve l’expérience désabusée d’un vieillard et, si c’est trop dire, où i il y a pourtant une science